Faculté Libre d'Astrologie de Paris (FLAP)

Le but de ce blog est lié à la création en 1975 du Mouvement Astrologique Universitaire (MAU) . Il sera donc question des passerelles entre Astrologie et Université mais aussi des tentatives de constituer des enseignements astrologiques.
Constatant les lacunes des astrologues dans le domaine des
sciences sociales (hommes et femmes, structures
nationales et supranationales etc), la FLAP assurera à ses
étudiants des connaissances de première main et les plus
récentes qui leur serviront de socle pour appréhender
l'astrologie et en repenser les contours.
.
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mercredi 18 juin 2025

Jacques halbronn La Vie Astrologique. La revue "L' Astrologue" d'André Barbault, de 1968 à 1990

Jacques halbronn La Vie Astrologique. La revue "L'Astrologue" d'André Barbault, de 1968 à 1990 Les trois premiers numéros (1, 2, 3) de L'Astrologue 1er trimestre 1968, deuxiéme trimestre, troisiéme trimestre, paraissent dans le cadre du CIA. (Centre International d'Astrologie) aux Editions traditionnelles, 11, Quai Saint Michel. Le rédacteur en chef en est André Barbault On y trouve la composition du Bureau de l'Association, Gouchon, président, Barbault Vice président etc ainsi que la liste des réunions, au Musée Social, rue Las Cases. On y annonce un prochain Congrès faisant suite à celui de 1953.-54. Dans le n°3, Barbault ne figure plus au Bureau du CIA.Dans le numéro 4 du 4e trimestre 1968, les réunions du CIA sont toujours indiquées, ainsi que la nouvelle composition du Bureau de l'Association. Mais à partir du² n°5 (3e trimestre 1969) le CIA perd le contrôle de la revue, toujours publiée aux Ed. traditionnelles. Les réunions publiques du CIA y sont annoncée (p.4) à la suite d'un éditorial de Barbault signalant sa démission de vice président, en juin.("L'astrologue libre de son temps') "Bien éphémére, cette joie d'inauguration de L'Asrologue proclamant que le CIA enfantait sa propre revue". Il y évoque "Astroflash" (Ordinastral) Barbault donne son adresse, rue Emile Allez, près de la Porte de Champerret, à deux pas de la rue Jean Baptiste Dumas où j'avais habité jusqu'en 1966. C'est à cette adresse que je me rendrai pour signaler à Barbault les Remarques Astrologiques de Morin de Villefranche et que je me verrai remettre quelques périodiques pour la Bibliothèque du CIA (19720) En 1972 naitra la Revue Trigone en tant que revue du CIA, puisque L'Astrologue vivait désormais sa propre vie. Dans le numéro 24(4e trimestre 1973), Paul Colombet, dans sa rubrique 'Aux quatre coins du Zodiaque; annonce le Congrès de 'ISAR se tenant à Paris. Je suis désigné, avec mon adresse, comme "délégué à l'organisation" Dans le numéro 25 de l'Astrologue,(3e trimestre 1974) j'apparais (p. 35)? comme vice président mais aussi comme le successeur de Jacques Berthon en tant que responsable de Trigone. Dans le n° 27 (3e trimestre 1974), je ne figure plus (p. 126) dans le Bureau du CIA. mais je reste Directeur de publication de Trigone et "directeur de la Bibliothèque du CIA. On y parle d'un changement de nom de l'association , Union Astrologique de France. Dans le numéro 31, on nous annonce que le CIA prendra le nom de "Société Astrologique de France" (p. 127), en l'honneur du Lieutenant Colonel Maillaud qui avait présidé une association de ce même nom. Dans le numéro 34 (3e trimestre 76), Barbault fournit une étude de nos Clefs pour l'Astrologie (p.101) suivie de ses observations sur les Remarques Astrologiques sur le commentaire du Centiloque de Ptolémée mais mon nom n'est pas mentionné, pas plus que pour mon édition d'Abraham Ibn Ezra (également chez Retz) / Dans le numéro 39 de L'Astrologue, Colombet annonçait " SFA égale SAF de même que SAF égalait CIA. Colombet s'explique qu'un "ancien membre (moi en l'occurence), profitant d'un retard regrettable certes, mais non capital dans la déclaration aux services officiels, s'est emparé très légalement mais bien peu moralement de ce titre" On y trouve (p; 129) une 'Mise au point reçue de M. Jacques Halbronn dénonçant l'incurie du Président à signaler à la Préfecture les changements successifs intervenus!. Dans le numéro 42, il est question du procés en diffamation engagé contre Barbault (p. 95) cf aussi dans l'Astrologue n°37 (3e trimestre 1977) pp. 28-29 (Aux quatre coins du Zodiaque) Rappelons tout de même qu'en juin 1974, j'avais été ejecté de la Vice présidence du CIA, un an après mon élection, alors même que le Congrès de l'ISAR allait se tenir, à mon instigation, à Paris! Qui séme le vent récolte la tempête! Arrivons-en à 1989 dans la revue L'Astrologue. Le numéro 89 (Ier trimestre 1990 accueille un texte de Barbault "Histoire d'une prévision". Mais auparavant, examinons ce qu'écrivait (ou pas) Barbault à la veille de lé réalisation d'une telle prévision historique. Qu'est ce qui parait dans la revue de Barbault au cours de l'année 1989 en rapport avec la conjonction Saturne-Neptune? Dans le numéro 88,(4e trimestre 89) on trouve une étude sur "la doriphorie du 20 janvier 1990." La conjontion Saturne Neptune est littéralement noyée '(p. 213); on nous donne le thème du 20 janvier 1990; " Il n'est pas si courant d'avoir 7 astres groupés sur 37° et 5 sur 72. C'est ce qui se produira le 20 janvier 1990 (..) Déjà, un rassemblement voisin se sera produit autour de la lunaison du 20 décembre 1989" "La signification globale de ce rassemblement -expression d'un renouveau cyclique peu ordinaire (..) Nous devrions nous trouver au coeur de la profonde et radicale transformation de la société mondiale en cours, perçue déjà comme une grande secousse historique (...) N'oublions pas non plus la possibilité qu'une telle concentration puisse signifier également une période de déséqulibre etc" Dans le numéro 84 (4e trimestre 1988), que raconte l'article de Barbault" Ouragan sur 1989-1990" (p. 160) consacré à l'indice cyclique: rien de polarisé sur la conjonction Saturne- Neptune! Voyons ce qui est exposé dans le numéro 90 (2e trimestre 1990) en rappelant que Barbault publiera dans le numéro 89 son ' histoire d'une prévision" (ier trimestre 1990) Dans le numéro 91 (3e tromeste 1990), Charles Ridoux proposera "L'Astrologie mondiale au regard de l'histoire" (pp.113 et seq) en signalant que Barbault aura vu - de son propre aveu, un peu trop grand avec son annonce d'une troisiéme guerre mondiale pour le début des années 80 du XXe siècle. Il est possible que par la suite, Barbault n'ait plus trop voulu risquer de se mouiller; lui qui avait tout misé sur 1983. Dans le numéro 60 de L'Astrologue, "La conjonction Jupiter- Uranus de 1983 "(p. 207) "Ma prévision pour la première fois formulée il y a 15 ans (..) sur la base du phénomène de concentration planétaire résultant d'une dominante de phases cycliques descendantes- d'une crise générale de la société mondiale commençant en 1975 (..) et s'aggravant d'année en année jusqu"à son point d'eclatement au creux ultime de 1983) s'est jusqu'ici ponctuellement réalisée". Barbault mettra sensiblement moins la pression à l'approche de 1989 et force est de constater que Neptune n'est guère mis en avant - son glyphe n'apparait guère - dont il sera question après coup. Dans le numéro 67 (3e trimestre 1984), Barbault s'intéressait au "thème de la Russie Soviétique" (pp. 136 et seq), ,Barbault terminait ainsi à propos du Soleil en capricorne dans le thème de fondation de l'URSS en 1922 transité par la conjonction Saturne-Neptune de 1989 dans ce signe : "Qui peut douter que ce soit un tournant crucial pour le destin de la Russie communiste"? Barbault bascule ici dans le lyrisme: "tant qu'il y aura sur cette terre (...) des abandonnés de la société d'abondance (..) il y aura toujiurs une reléve révolutionnaire (...) l'esprit du communisme (..) n'est pas mort et l'on réentendra longtemps encore (..)le grondement neptunien de l'Internationale, portée par le rêve d'un temps des cerises..." (...) Il y a toute raison de croire (sic) que la Russie soviétique va continuer d'évoluer parallelement au nouveau cycle Saturne-Neptune (..) Le nouveau cycle devrait toujours la concerner pour l'essentiel et nous pouvons comparer les prochaines phases à venir avec celles dès deux cycles antérieurs, 36 et 72 ans plus tôt" Dans le numéro 80 (4e trimestre 1987), Barbault se réferé à Neptune " La rencontre Saturne-Uranus- Neptune". Il mise nettement sur Gorbatchev " le nouveau maitre du Kremlin"(p. 157) en rapport avec la prochaine conjonction Saturne-Neptune (de 1989): "Nul doute qu'elle annonce une nouvelle étape cruciale pour l'Union Soviétique, un cap de renouveau". Gorbatchev aurait pu être the right man, at the right place, at the right time" Barbault n'avait pas développé une approche astro-biographique qui seule permet d'anticiper certains retournements et certains retours. Or, pour nous, la clef de l'astrologie mondiale, ce sont les grands leaders, les seuls véritables acteurs, ce qui ne signifie pas que nous accordions la moindre importance au thème natal car ils sont en fait l'incarnation du processus cosmique. "Sa démission en 1991 conclut la dislocation et la disparition de l'URSS et marque la fin de la guerre froide. Il est ainsi le dernier dirigeant de l'URSS, tandis que son rival Boris Eltsine devient président de la fédération de Russie." Le 25 décembre 1991, Saturne se prépare à basculer de la phase Din à la phase Hessed (mars 1992) en passant la seconde moitié du signe du verseau, mettant un terme à une période de 3 ans et demi, débutée en mars 1988, quand Saturne entrait en capricorne. JHB 18 06 25

mardi 17 juin 2025

jacques halbronn nouvelles recherches sur les Dignités planétaires. Doubles Domiciles. tipliciés/Quadruplicités

jacques halbronn nouvelles recherches sur les Dignités planétaires. Doubles Domiciles. tipliciés/Quadruplicités Dans cette étude, nous montrerons à quel point les triplicités (Feu, terre, air, eau) sont liées aux quadruplicités.(signes cardinaux, fixes, mutables) Quadruplicités. Signes mutables Domiciles Jupiter en Sagittaire et Poissons, Mercure en Gémeaux et Vierge Signes cardinaux Mars en bélier et scorpion, Vénus Balance Signes fixes Soleil en lion et taureau, Saturne en verseau et capricorne Grille de 4 Eléments (triplicités)Les doubles domiciles Signes de feu: Jupiter en Sagittaire Mutable Mars en bélier, cardinal Soleil (Lune) en Lion, fixe Signes d'air Mercure en Gémeaux, mutable Vénus en balance cardinal , Satnrne en Verseau fixe Doubles domiciles: Signes de terre , Mercure en vierge, Vénus en taureau, Saturne en capricorne Signes d'eau Jupiter en poissons, Mars en scorpion, Soleil-Lune en cancer JHB 17 06 25

Jacques Halbronn L'astrologie doit signaler ce qui se répéte (7ans) et...

lundi 16 juin 2025

jacques halbronn Astrologie Septénale. La sensibilité gaulliste de Macron. Le temps Hessed 1958 -1965, 2017, 2024/ L'alternance

jacques halbronn Astrologie Septénale. La sensibilité gaulliste de Macron. Le temps Hessed 1958 -1965, 2017, 2024/ L'alternance En juillet 2024, alors que Saturne était en phase Hessed, alors que Macron, en décrétant la dissolution de l'Assemblée Nationale redonnait la parole au "peuple" en tant qu'ensemble, il s'agissait de passer dans un registre quantitatif. De fait, pendant la moitié du temps, c'est bien ce critère là qui doit compter, trancher. Mais cela n'a qu'un temps car cela doit forcément alterner avec un autre critère, celui d'une assemblée composée de personnalités et non celui de statistiques, de sondages. Deux vérités, légitimités sont donc en présence. Mais la dissolution de l'Assemblée n'était-elle pas un coup porté à une certaine élite, classe? Deux systémes, cultures, sont donc bien là en présence, face à face. Pour certains, la vérité est ce qui émane du peuple, de chacun de ses membres anonymes qui en serait le dépositaire. Pour d'autres, en revanche, la vérité est l'apanage, le privilége des plus "Sages".https://www.les-philosophes.fr/la-republique-de-platon.html Il revient à ce petit nombre de protéger la Cité de l'erreur, de la corruption (cf Livre de la Genése au sujet du petit nombre de Justes qui aurait permis d'épargner Sodome). Selon l'Astrologie Septénale, les temps changent,et ce qui faisait référence en un certain temps ne le fait plus à un autre (cf Livre de l'Ecclésiaste), ce n'est plus le même Zeitgeist qui a le dessus. C'est prévu, organisé ainsi selon le "système", la "matrice" (cf le film des frères/soeurs Warshowski, 1999). L'astrologie serait-elle la vraie Matrice? Nous ne sommes pas loin de le penser/ La question qui se pose est la suivante: est ce que nous évoluons selon les phases ou bien est ce que nous sommes liés à une certaine phase et à sa cyclicité, son retour? Il semble bien, au prisme de nos recherches, que nous serions dès notre naissance de type "Hessed" (bas de gamme) ou de type "Din" ( haut de gamme) mais pour une raison ou pour une autre, il se peut que nous soyons influencés par des valeurs aliénantes, L'élection de Macron s'est préparée en 2016, quand Saturne était en phase Hessed , il y restera jusqu'à la fin de 2017. Et en 2024, sept ans après, Macron s'inscrira dans le même contexte astral. Il serait donc de sensibilité Hessed, ce qui explique son appartenance à la mouvance socialiste. Ce qui montre l'erreur du quinquennat. En 2024, on a corrigé le tir, en retrouvant, en quelque sorte, l'intervalle de 7 ans. En 2018, au lendemain de l'élection à la présidence de la République de 2017, Macron va entrer- comme tout le monde - dans une phase DIN. C'est un moment de crise, de doute, comme on l'a exposé plus tôt, les excés de la phase Hessed qui avaient permis à Macron de l'emporter en bousculant les hiérarchies et cénacles politiciens - ce qui aura conduit Macron à la dissolution de l'Assemblée nationale, autre façon de déstabiliser la classe politique de type DIN, seront à expier d'une façon ou d'une autre. Ce qui s'est passé en 2018, il y a 7ans, devrait nous mettre sur la voie de ce qui se produira dans les mois qui viennent. Revenons donc sur l'Affaire Benalla lequel avait bénéficié de passe-droits. Web "A 31 ans, Alexandre Benalla a associé son patronyme à l'affaire la plus embarrassante du premier quinquennat Macron, dont les répliques ont enrayé la bonne marche du pouvoir.. Après avoir accompagné un temps Martine Aubry, M. Benalla travaille brièvement pour Arnaud Montebourg, alors ministre du Redressement productif: "Je m'en suis séparé au bout d'une semaine après une faute professionnelle d'une première gravité: il avait provoqué un accident de voiture en ma présence et voulait prendre la fuite", avait-il raconté. M. Benalla débarque en macronie début juillet 2016, recruté par Ludovic Chaker, alors secrétaire général d'En Marche. D'abord bénévole, il est embauché à l'automne par le mouvement pour assurer la sécurité d'Emmanuel Macron et devient rapidement une figure connue et appréciée du premier cercle du candidat. "Il a été repéré comme quelqu'un qui réglait les problèmes pratico-pratiques de manière très efficace. Il pense à tout, c'est le couteau suisse", témoigne un pilier de la campagne. "Il était là tout le temps. Il venait ouvrir le bureau à 6H30 si personne n'avait pris le +slot+ de la permanence de sécurité. C'est lui qui faisait la nuit si personne d'autre ne le faisait", abonde un autre. En campagne, dans certaines situations tendues comme à l'usine Whirlpool d'Amiens, M. Benalla est aussi celui qui dit au candidat "c'est possible" quand les policiers chargés de la protection de M. Macron renâclent. En cela, le chef de l'Etat lui restera reconnaissant: "Quoiqu'il advienne dans cette affaire, je n'ai pas à oublier cet engagement", lance M. Macron quand le scandale éclate. - "Gadgets" - Récompensé par un poste de chargé de mission à la chefferie de cabinet, dédié aux déplacements du président, M. Benalla s'immisce dans les failles du système: "il voulait tous les gadgets", soupire un conseiller du Palais. Passeports diplomatiques, badge d'accès à l'hémicycle de l'Assemblée, voiture de fonction... Réserviste dans la gendarmerie dans l'Eure, où il officia aux côtés du futur ministre des Armées Sébastien Lecornu, il obtient aussi en 2017 le grade élevé de lieutenant-colonel. Et un port d'arme lui est alloué, malgré un premier refus du ministère de l'Intérieur. Il cultive, avec Vincent Crase, un ami de dix ans, lui aussi employé à la sécurité de la campagne et salarié d'En Marche, des amitiés troubles, comme avec l'homme d'affaires Alexandre Djouhri. Jusqu'à être soupçonné d'avoir conclu en juin 2018 un juteux contrat de protection pour la famille d'un sulfureux oligarque russe. Un "deal" désormais au coeur d'une enquête du Parquet national financier. Sa chute a commencé lorsqu'il a été identifié dans une vidéo, filmée lors des défilés du 1er mai 2018 et diffusée par Le Monde en juillet. Il y est identifié en train de violenter un manifestant." 2018 -2025: il y a réitération septénale alors qu'au bout de 3 ans et demi, il y a contrepied, choc en retour Passage de la croix des saison (équinoxes/solstices) à la croix des étoiles fixes royales. Il y a 60 ans, De Gaulle était réélu pour un nouveau mandat. Saturne était en poissons et 7 ans plus tôt, il était en sagittaire. Il rappelait en 1965 " il s'agit d'éviter que l'État soit à la disposition des partis" Le suffrage universel (imposé en 1962 pour l'élection du président de la République) est un instrument pour soumettre les politiciens à la volonté populaire. Mais en 1969, trois ans plus tard, De Gaulle va devoir partir à la suite d'un référendum - véritable suicide politique. Saturne est passé en Bélier, en phase DIN tout comme il était passe en 1961 en capricorne.. web " Le 27 avril 1969, les Français rejettent le référendum sur la régionalisation et la « rénovation » du Sénat. Désavoué, Charles de Gaulle quitte ses fonctions de président de la République, comme il s’y était engagé. L'arrivée d'une nouvelle phase DIN devrait conduire Macron soit à la démission, à l'instar du général De Gaulle, soit à un compromis historique avec les leaders. Il importe de respecter la dialectique cyclique (cf notre récent texte sur Barbault sur ce thème). Cela implique de faire alterner des périodes où l'on se met en tort et celles où ce sont les autres qui sont sur la sellette. Offensives et contre- offensives. Si vis pacem, para bellum. JHB 16 06 25

dimanche 15 juin 2025

Jacques Halbronn La théorie dialectque des aspects chez André Barbault (1955)

jacques halbronn . Sa théorie dialectique des aspects. chez Anré Barbault (1955) En 1976, lors de la première édition française de Clefs pour l'astrologie (p. 146) nous écrivions ; "Il faut faire la distinction entre le seuil d'une phase et son paroxysme, en plein milieu de la phase considérée" Cela revenait à mettre l'accent sur le milieu d'une phase, soit 45°, moitié de 90° On notera qu'au football, sur un match de 90 minutes, on a deux mi-temps de 45 minutes. Idem pour le rugby. web "Un match de football standard se déroule sur une durée de 90 minutes, divisée en deux mi-temps de 45 minutes chacune. Entre ces deux périodes, les joueurs bénéficient d'une pause de 15 minutes pour récupérer." On aurait donc affaire ici à une équivalence degrés/minutes comme il en est une entre jours lunaires (28 jours) et années saturniennes.(28 ans) Revenons à présent sur les travaux d'André Barbault tels que parus entre 1955 (Grasset) et 1965 (Albin Michel) qui semblent tout ignorer de la crise Berlin et de Cuba de 1961-1962, aussi bien en perspective qu'en rétrospective.. Paradoxalement, si Barbault se manifestera au lendemain de la chute du Mur de Berlin (1989), il ne se prononce guère sur le moment de sa construction (1961), 28 ans plus tôt, soit un cycle sidéral de Saturne. D'un côté, un certain succés, de l'autre, un échec prévisionnel cuisant, ce qui apparait clairement avec le recul du temps. De nos jours, en 2025, on ne veut retenir de Barbault que la conjonction Saturne-Neptune alors que la relecture des deux ouvrages de notre corpus, "Défense et illustration de l'astrologie", et "1964.La crise mondiale de 1965. Prévisions astrologiques" montre que Barbauilt accordait une importance certaines à la succession des aspects du sextil au semi-carré, du trigone au sesqui-carré etc. Barbault met en évidence les revirements et les retournements résultant des aspects de Saturne à Neptune. ( Défense et illustration, pp. 190 et seq), Crise Mondiale, pp 91 et seq) Ne se servant guère des positions sur le Zodiaque, Barbault investit la succession des apects. Pour lui, les aspects entre planétes seraient plus réels que le découpage de l'écliptique en signes. Le changement d'aspect pour cet auteur prévaut sur les considérations saisonnières (quadruplicités). L'on sait que nous avons au contraire, mis en avant le passage d'une seule planéte, Saturne, au sein de chaque quadrant de 90°, débutant chaque fois par un signe cardinal. (cf notre Astrologie Septénale) Oe. Il va en 1967 (Les astres et l'Histoire. Ed Pauvert) abandonner le cycle Saturne-Neptune et son découpage en aspects(semi carré compris) pour un autre modéle, légué par Henri Gouchon, qui ne tient plus compte de la succession des aspects ave la domination de la seule conjonction, mettant les autres aspects dans le même sac dans le cadre de son "indice cyclique' (indice de concentration planétaire) avec en perspective les guerres mondiales du XXe siècle, y compris une troisiéme, annoncée pour le début des années 80, dont on sait ce qu'il en est advenu. Avec le recul, c'est bien dans les années 61-62 que l'on aura bel et bien frisé une nouvelle guerre mondiale. Mais l'on sait aussi que la chute du Mur de Berlin fut une divine surprise pour Barbault qui se rappellera alors ce qu'il avait écrit dans les années 50-60 dans l'attente de la conjonction de Saturne à Neptune en 1989. (pp. 186-189). D'ailleurs, paradoxalement, Barbault semble avoir fini par parier sur l'échec de l'URSS face aux USA et 1989 en est la manifestation la plus flagrante, à commencer par l'annonce du premier homme sur la Lune que Barbault voyait à l'Est et non à l'Ouest, du côté communiste et non du côté capitaliste. Force est de constater une très grande ambivalence dans les prévisions de Barbault, ce qui, au demeurant, reléve de la dualité même du discours astrologique, lequel ne se prête pas à une approche unitaire. Barbault jongle avec la Dialectique marxiste qui lui permet d'élaborer une théorie des aspects. On regrettera que son approche dialectique des aspects n'ait pas fait école. Défense et illustration 1955 DIALECTIQUE " Les cycles Saturne - Neptune marquent une progression constante du mouvement révolutionnaire" (p. 187) (..) En 1952-53, nouvelle conjonction (Saturne - Neptune) : la mort de Staline inaugure un nouveau cycle pour le communisme russe et mondial (..)Staline meurt et l'URSS est en pleine métamorphose: elle engage un nouveau cycle qui la conduit à l'échéance capitale de 1989" On peut parler avec Barbault d'une approche dialectique du monde exprimée astrologiquement par l'alternance même des "bons" et des "mauvais" aspects, la conjonction maintenant, rétablissant périodiquement le cap pour une arrivée en tête. C'est la "théorie des contradictions (thèse-antithèse-synthèse)", le mauvais aspect étant l'antithèse. Etrangement, dans l'indice cyclique, les conjonctions sont sources de tensions extrémes, un accouchement dans la douleur. On peut certes saluer au sujet de l'indice cyclique une simplification de la théorie des aspects sous une forme duelle. La crise mondiale 1963 p. 98 EUPHORIE " Le grand essor" " l'URSS est partie pour une brillante célébration du cinquantième anniversaire de la Révolution d'Octobre (en 1967) (..) Tout (sic) donne finalement à penser qu'arrivée à l'opposition de 1971-72 l'URSS vivra un temps de dépassement en ayant "doublé" "les USA" " L'astronautique représente l'avant garde de l'aventure humaine. Or, que les Russes soient à la tête de la course à l'espace es symbolique du proche avénement de l'URSS en tant que leader du monde" Rappel: en 1969, le premier homme sur la Lune viendra des USA. En 1992, démembrement de l'URSS.(cf nos articles sur ce sujet)

vendredi 13 juin 2025

Jacques halbronn Anthropolinguistique et Astrologie septénale: le Deux.

Jacques halbronn Anthropolinguistique et Astrologie septénale: le Deux. Le fait de diviser les périodes de 7 ans en deux parts égales conduit à diviser un angle saisonnier de 90° (360/4) en deux temps de 45°; On reléve que dans les langues germaniques, "entre" se dit between et zwichen, dérivées respectivement de two et de zwei./ On trouve en astrologie contemporaine allemande les mi-points, la "mi-distance" considérée comme un point fictif entre deux astres! Il y a là une intuition heureuse, heuristique qui éloigne, émancipe, l'astrologie de la réalité astronomique, en créant une dimension supplémentaire: "La technique des mi-points en synastrie quant à elle fait référence à la réalisation du thème composite. Elle se définit par un calcul de la distance entre deux mêmes astres chez les deux personnes (sœur, ami, partenaire, parent, collègue). La mi distance établit un degré précis qui devient la position commune de l’astre. Cet endroit, bien que fictif agit telle une zone sensible lors de transits ultérieurs. Le composite reflète surtout l’atmosphère au sein de la relation tandis que la synastrie donne des informations sur le rôle de l’un par rapport à l’autre et l’image projetée de l’un sur l’autre"." De même, en Astrologie Septénale, l'on s'intéresse à ce qui se situe à mi-chemin, à mi- parcours. La nouvelle année chinoise se situe au "milieu" de l'hiver " Pourquoi un Nouvel an... vingt-sept jours après le 1er janvier? A contrario du calendrier grégorien-solaire, sur lequel se sont fondés en premier les états catholiques en 1582, les Chinois ont bâti leur cycle de douze mois sur celui de la lune et du soleil. Partant de ce postulat, ces derniers ont décidé de fixer le début de la nouvelle année, deux lunes après le solstice d'hiver, soit entre le 21 janvier et le 20 février, de façon à ce que le soleil puisse entrer dans le signe (fixe) du Verseau (symbole du renouvellement de la vie) et être favorable aux prochaines récoltes. En effet, le nouvel an chinois, littéralement «passage de l'année» (nónglì xīnnián) était à l'origine une fête agricole. Il était une manière pour les paysans de mieux observer le rythme des saisons et ainsi, de célébrer le printemps, invocateur de l'arrivée des beaux jours." Encore une tradition qui nous montre que nous allons dans le bon sens. On notera la demi-semaine allemande , littéralement, le Mittwoch (Mercredi), ce qui s'oppose au Week end, fin de semaine; mais nous avons aussi la tradition du jeudi où les éléves ne vont pas en classe, ce qui constitue un "break" Tout dépend si le dimanche est le premier ou le dernier jour de la semaine. Autrement, nous avons le "midi" (méridien) et le "minuit" (milieu du jour, milieu de la nuit) qui attestent de cette tradition duelle. Il convient de souligner le statut des étoiles "royales" en Astrologie. "QUATRE ETOILES ROYALES OU GARDIENNES DU CIEL Les 4 étoiles royales ou les gardiennes du Ciel sont une série d'étoiles de faible magnitude (donc relativement brillantes) sélectionnées il y a environ 5000 ans par les astrologues Perses. Il s'agit de Aldébaran, Regulus, Antarès et Fomalhaut" Ces étoiles se situent dans les constellations correspondants aux 4 signes fixes, respectivement le taureau, le lion, le Scorpion et le Verseau" bien que Fomalhaut appartienne à la constellation du poisson austral et que l'Aigle corresponde au Scorpion. (cf A. Volguine, le symbolisme de l'Aigle) cf notre ouvrage collectif Aquarius ou la Nouvelle Ere du Verseau Ed Albatros, 1979. On notera que les étoiles fixes royales correspondent aux signes dits "fixes" (quadruplicité, modes), ce qui marque une frontière entre les deux phases de 3 ans et demi. On retrouve cette structure de tétramorphe dans l'iconographie du sphinx et dans le Livre du Prophéte Ezékiel (les "Hayoth') JHB 13 06 25 Le sphinx et la précession des équinoxes Posté par nofim le 2 août 2014 Une révoltion copernicienne du symbolisme zodiacal par Jacques Halbronn En 1979, quand nous avons publié Aquarius ou la Nouvelle Ere du Verseau (Ed Albatros) , nous avions choisi pour illustration de couverture, un Sphinx, mettant ainsi en avant les signes fixes dont faisait partie le signe du Verseau lesquels signes constituaient cette créature connue sous le ,nom de Sphinx. Ce n’est que 20 ans plus tard que notre intérêt pour les étoiles fixes royales allait conférer une certaine forme de prémonition à ce choix. Mais il aura fallu attendre encore près de 15 ans pour que nous comprenions que le Zodiaque et le Sphinx constituaient deux systémes traitant tous les deux du cycle des saisons mais l’un sur un mode tropicaliste, l’autre sur un mode sidéraliste, tout en se présentant comme d’un seul tenant. Mais par ailleurs, nous avions été fascinés par l’existence de ces 4 « être vivants », comme on les appelle parfois- formant le tétramorphe- et qui connurent une carrière séparée (cf l’arcane majeur « Le Monde », le Livre d’Ezéchiel etc) de celle qui les relia au symbolisme zodiacal auquel on les assimile à tort. Le rapport entre le « tétramorphe » et le Zodiaque fait d’ailleurs probléme puisque l’on ne trouve pas de signe de l’Aigle (la constellation de l’aigle est proche de celle du Scorpion) alors qu’il y a bien parmi les signes « fixes », le lion, le taureau et l’homme (Verseau), ce dont a tenté de s’expliquer Volguine (Le symbolisme de l’aigle, 1960) Il nous aura donc fallu bien des décennies pour percer le mystère de ce tétramorphe dans son rapport aux 4 saisons. C’est un beau jour que l’image jaillit sous notre plume ou sur notre langue qui associait le vol de l’oiseau au printemps et ne dit-on pas qu’une hirondelle ne fait pas le printemps.? Nous trouvons des traditions chinoises qui associent non pas l’aigle mais l’épervier-il faudrait donc éventuellement- remplacer l’aigle par l’épervier. On notera aussi que les oiseaux incarnent fréquemment l’amour comme dans le cas des perruche. Il est aussi question du pigeon ou de la tourterelle qui se change en épervier. A partir de cette prise de conscience, se forgea peu à peu dans notre esprit l’idée d’un revirement à 180° du symbolisme zodiacal., qu’il faudra par la suite reformuler en distinguant deux roues zodiacales intriquées l’une dans l’autre. Mais si revirement, il y avait qui voulait que l’Aigle incarnât le printemps, ne fallait-il pas, a contrario, que le Taureau incarnât l’Automne, ce qui remettait en question sinon une tradition du moins une exégése devenue traditionnelle? Pour s’en expliquer, il nous fallait bien connaitre l’iconographie non pas tant du Zodiaque que des mois et que peu d’astrologues connaissent bien qu’on la trouve dans le Kalendrier des Bergers et dans les Très Riches Heures du Duc de Berry. C’est ainsi qu’en novembre-décembre l’on tuait le cochon (qui devenair porc chez les anglais qui distinguent l’animal vivant et l’animal abattu pour la consommation: ox/beef, calf/veal, pig/pork, sheep/mutton, le second terme étant français). Le boeuf, animal sacrificiel - tradition maintenue dans la corrida et ses banderilles- qui inaugure la nouvelle année. L’agneau (pascal) est aussi sacrificiel mais il aura été déplacé du fait de la précession des équinoxes de l’automne vers le printemps tout comme le taureau qui le suit ainsi que les astres qui lui sont associés (les luminaires, soleil et lune) Quel contraste entre l’aigle qui peut parcourir des distances considérables et le taureau, le boeuf condamné à tourner dans son pré. On voit à quel point le symbolisme zodiacal aura été perturbé par la perte de la présence animale à l’automne et par l’absence des oiseaux au printemps! Il ne semble pas que les historiens du Sphinx ou du tétramorphe aient réfléchi sur la dimension zodiacale du probléme au prisme des saisons, ne serait-ce qu’ au niveau analogique. Selon nous, cette « roue » des 4 « vivants » aura bougé avec la précession des équinoxes et au bout d’un demi-cycle, soit 12000 ans environ, tout s’est trouvé inversé. Cela vaut aussi pour les luminaires qui initialement, selon nous, étaient associés avec le solstice d’hiver et qui le sont à présent avec le solstice d’Eté. La naissance de Jésus, personnage solaire, se fait au solstice d’Hiver et le taureau incarne bien la jonction soli-lunaire avec ses cornes représentant un croissant lunaire.Mithra, lié au taureau, nait le 25 décembre.(cf Robert Carré/ Le Sphinx et l’homme (Essai contributif à l’élucidatio d’un mythe, Paris Maisonneuve et Larose, 1974) La précession des équinoxes est une donnée désormais bien ancrée en astrologie avec un changement d’ère tous les 2160 ans, du fait du point vernal. Plusieurs facteurs témoignent en faveur d’un tel glissement mais l’on n’avait pas pris conscience de ce que ce glissement avait pu perturber l’agencement zodiacal, du fait de l’existence d’une double roue, l’une étant fixe, l’autre mobile jusqu’au moment où tout a fini par se figer. L’exaltation du soleil était initialement en taureau et elle a glissé vers le bélier. Notons aussi le décalage des domiciles et des exaltations. Les deux luminaires devraient être séparés par un axe de symétrie (axe équinoxial, axe solsticial) or cet axe est décalé d’un signe. Le Zodiaque de Dendérah met en avant le signe du Lion, ce qui a donné lieu au début du XIXe siècle à un vaste débat..(The Zodiac of Paris. How an Improbable Controversy over an Ancient Egyptian Artifact Provoked a Modern Debate between Religion and Science Jed. Z. Buchwald et Diane Greco Josefowicz Princeton & Oxford 2010, Albert Slosman Le Zodiaque de Dendérah 150 ans avant JC ou 12000 ans? Rocher Monaco, 1980 Les étoiles fixes royales sont liées à ces 4 « vivants » et leur rapport avec les planétes ne dépend pas de la précession des équinoxes. En fait, en astrologie, seules ces 4 étoiles importent et non pas le zodiaque dans son ensemble. C’est le passage des luminaires et leur « opposé » Saturne qui a les mêmes nombres que la Lune (un jour pour un an) qui constitue la cyclicité astrologique. On demandera donc aux astrologues et aux symbolistes -(comme Luc Bigé) de cesser de chercher à associer le taureau avec le printemps. Quant au mouton, il est frappant d’observer que la scène où on lui coupe sa toison se situe à l’opposé de celle où le cochon est depecé. Dans les deux cas, l’on se sert d »objets contondants. Mais encore faudrait-il réintégrer le porc au sein du symbolisme zodiacal.(cf le porc dans le zodiaque chinois). Quant au lion et à l’aigle, ils constituent un autre zodiaque. Le taureau et l’Homme sont communs aux deux zodiaques. On peut d’ailleurs penser qu’il a existé un zodiaque à 8 secteurs qui s’est combiné avec un zodiaque à 4 secteurs, totalisant ainsi 12 signes. Ce type de renversement est également à observer avec le passage du Descendant pour calculer les maisons vers l’Ascendant., ce qui a brouillé la numérotation des maisons. Il faut noter les maisons du descendant vers l’ascendant, sous l’horizon et de l’ascendant vers le descendant, au-dessus de l’horizon. Rappelons que les Juifs ont maintenu la tradition de commencer l’année au début de l’automne et la journée au coucher du soleil, que notre année civile commence en janvier et notre journée à minuit. Car tel est bien l’enjeu symbolique: le commencement d’un cycle n’est pas diurne mais nocturne et on imagine les graves contresens que l’on peut commettre quand on croit que la conjonction de deux astres amorce une phase diurne et non nocturne, ce qui correspond par rapport aux maisons astrologiques à celles qui concernent le milieu familial, la vie privée. (sous l’horizon, donc nocturne) JHB 02 08 14

jeudi 12 juin 2025

Patrick Peccate Le tétramorphe. Une appropriation chrétienne d'une figure cosmique

Le tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Le tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; JohLe tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort Le tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traversLe tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Le tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramLe tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩]Le tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle dLe tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au comLe tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Le tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontièrLe tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents.Le tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à traversLe tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette Le tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypLe tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. Le tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de PtolémLe tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoilLe tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Le tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩] Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩]es les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩]ée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩] L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩]es de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩]constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩] la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩] Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩]es babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩] Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩]bat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩]u tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 1Le tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: ALe tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Le tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.).Le tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11Le tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à trLe tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meLe tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablLe tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale mLe tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Le tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the Le tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évLe tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [HéphæsLe tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. DLe tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10.Le tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, paLe tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun Le tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les dLe tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nLe tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativLe tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩]ement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 1Le tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] RLe tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la BiblLe tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩]e sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terreLe tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩] et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩]oslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩]01-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩]ous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩]ouze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre compLe tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩]osantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩]30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’unLe tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engeLe tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste deLe tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionnLe tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a véLe tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩]cu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩]e des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi lLe tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩]es plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩] 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer leLe tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩] mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩]ndrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩]e telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩]r l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩] La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis Le tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est uneLe tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩] zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des procLe tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩]essus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du coLe tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩]smos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn MLe tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaireLe tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles Le tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux fiLe tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩]gures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. Le tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩] [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩]figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩]] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩]. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩]: le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩]’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩]tos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩]oquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩]History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩] Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩]ajeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩]ettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la tLe tétramorphe – une appropriation chrétienne d’une figure cosmique [2/8] par Patrick Peccatte · Publié 28 février 2020 · Mis à jour 22 avril 2020 [sommaire] 2. Une figure cosmique analogue : les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque Cette partie résume aussi simplement que possible les recherches contemporaines sur les origines des constructions culturelles que sont les constellations et le zodiaque. Bien qu’elles semblent a priori éloignées du sujet, ces études sont indispensables pour comprendre les caractéristiques cosmiques du tétramorphe et d’autres figures analogues, et pour cela, il a paru nécessaire d’y faire figurer quelques rappels d’astronomie élémentaire. Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩]héorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩]uvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩]avers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩]-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩] Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩] Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩]n Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩]54. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩]orphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩]Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩]e tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩]; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩]n H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩] Quelques rappels d’astronomie Une constellation est un groupe d’étoiles sur la sphère céleste auquel on a donné un nom et qui représente vaguement une figure. Les étoiles d’une même constellation n’ont aucun lien physique, elles peuvent être très éloignées les unes des autres et à des distances très différentes de la Terre. Un astérisme est également un groupe d’étoiles représentant une figure, mais il est formé d’une partie seulement d’une constellation ou à partir d’étoiles appartenant à plusieurs constellations. Pour simplifier notre propos, les noms grecs et mésopotamiens des constellations ainsi que leurs noms latins standardisés ont été omis ici, seuls sont mentionnés leurs noms français équivalents. Le zodiaque est une zone de la sphère céleste située de part et d’autre de l’écliptique, le cercle représentant la trajectoire annuelle du Soleil vue depuis la Terre, nommé ainsi parce qu’on y observe les éclipses. C’est la zone où se déplacent la Lune et les cinq planètes connues dans l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. L’astronomie partage le zodiaque en treize constellations de grandeurs très inégales que le Soleil traverse tout au long d’une année, tandis que l’astrologie le découpe en douze signes, c’est-à-dire en douze espaces égaux mesurant chacun 30 degrés. Les douze signes retenus sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. Chaque signe du zodiaque emprunte son nom à une constellation qui était proche à l’origine, mais la constellation ancienne d’Ophiuchus (ou le Serpentaire), entre le Scorpion et le Sagittaire, pourtant traversée par l’écliptique, n’a pas été retenue comme signe. Lecteur vidéo 00:00 00:31 Vidéo – Mouvement de la Terre autour du Soleil et positions apparentes du Soleil dans le zodiaque. Adapté de la page Constellations du zodiaque sur le site eduMedia -Sciences La précession des équinoxes est le lent changement de direction de l’axe de rotation de la Terre qui décrit un cône en 26 000 ans environ. Une des conséquences de ce mouvement est que la position des étoiles sur la sphère céleste change lentement au cours des siècles. De ce fait, les signes du zodiaque ne correspondent plus avec les constellations de mêmes noms. Le premier d’entre eux par exemple, le signe du Bélier, marque toujours l’équinoxe de printemps vers le 20 mars alors que la constellation du Bélier est actuellement traversée par le Soleil du 19 avril au 14 mai. Depuis Claude Ptolémée, au 2e siècle de notre ère, on distingue les ‘signes fixes’ du zodiaque situés au milieu des quatre saisons : le Taureau (printemps), le Lion (été), le Scorpion (automne) et le Verseau (homme versant de l’eau ; hiver)1. La coïncidence entre trois de ces ‘signes fixes’ et trois des faces du tétramorphe a donné lieu à de multiples commentaires hasardeux2. La relation entre les ‘signes fixes’ et le tétramorphe est en effet une question complexe qui ne peut se satisfaire d’une simple mise en correspondance. Il est nécessaire de remonter aux origines lointaines des constellations et de la constitution du zodiaque pour la comprendre. Ces études relèvent à la fois de l’histoire de l’astronomie, en interrogeant des textes anciens divers, et de l’archéoastronomie, une discipline relativement récente qui s’appuie notamment sur l’analyse des configurations passées du ciel. Les origines des constellations Au 8e siècle avant notre ère, Homère et Hésiode mentionnent déjà les constellations de La Grande Ourse et d’Orion3. Dans la fameuse description du bouclier d’Achille de l’Iliade, souvent présentée comme l’une des premières représentations circulaires des constellations4, Homère mentionne également les Pléiades et les Hyades, deux astérismes remarquables situés dans la constellation du Taureau5. L’archéologue John Tristan Barnes soutient par ailleurs qu’un vase grec daté de 625 avant notre ère comporte plusieurs représentations de constellations6. La Grèce antique nous a transmis la moitié environ des constellations modernes qui sont attestées chez les astronomes grecs dès le 4e siècle avant notre ère. La plupart d’entre elles remontent à Eudoxe (4e s.) et Aratos (3e s.)7. Ouvrage de référence durant de nombreux siècles, l’Almageste de Ptolémée recense ainsi 48 constellations ; 38 d’entre elles figurent sur l’Atlas Farnèse, la plus ancienne représentation de la sphère céleste qui date de la même époque (2e s. de notre ère)8 : image 30 – L’Atlas Farnèse (détail) – le Verseau, les Poissons, le Bélier et le Taureau dans le zodiaque représenté comme une bande avec en son centre l’écliptique, au-dessus : les constellations de Persée et d’Andromède, au-dessous : la constellation de l’Éridan ; 2e siècle, Musée archéologique national de Naples, Wikimedia Commons, photo Sailko On lit fréquemment que les constellations héritées des Grecs remontent aux civilisations anciennes de la Mésopotamie. En réalité, selon les spécialistes, seules quelques-unes des 48 constellations de l’Almageste proviennent de Babylone et ont été transmises aux Grecs. Ce sont celles du zodiaque et quatre constellations dites para-zodiacales représentant des animaux : l’Hydre, le Corbeau, l’Aigle et le Poisson Austral, proche du Verseau9. Plusieurs autres constellations non zodiacales sont probablement antérieures aux plus anciennes mentions chez les astronomes grecs ; ces derniers en auraient hérité de traditions astrales qui les ont précédées mais qui demeurent largement inconnues10. La chronologie d’apparition des constellations dans le domaine mésopotamien mérite d’être précisée. L’astronome britannique John H. Rogers distingue une première phase qui remonte aux Sumériens, sans doute vers 3200 avant notre ère. Taureaux et lions deviennent très communs dans l’art mésopotamien à partir de cette époque. Un peu plus tard, à partir de 2600 avant notre ère, l’homme versant de l’eau, le scorpion et l’homme-scorpion deviennent à leur tour des motifs courants. Ces premières figurations d’animaux, le taureau, le lion, et le scorpion, sont alors décrites comme des constellations, et avec l’homme versant de l’eau, elles marquent les quatre points cardinaux11. La seconde phase intervient entre 1350 et 1000 avant notre ère avec la dynastie Kassite qui introduit une toute nouvelle tradition pictographique sur des stèles de pierre, nommées kudurrus, qui figuraient des donations. Huit des figures zodiacales peuvent être retrouvées sur ces stèles12. De même, le grand poème babylonien des origines du monde, l’Enuma Elish, que l’on date du 12e siècle avant notre ère, mentionne des créatures engendrées par la divinité Tiamat dont certaines sont hybrides : “Elle créa la vipère, le dragon rouge et le sphynx, le grand lion, le chien enragé, l’homme-scorpion, de furieux démons, l’homme-poisson, le centaure, porteurs d’armes impitoyables et sans peur au combat.”13. Dans le texte de l’Enuma Elish comme sur les kudurrus, seules quelques figures zodiacales peuvent être retrouvées, et l’on est encore très éloigné du zodiaque en tant que système. Pour les périodes suivantes, l’une des sources fondamentales est fournie par la paire de tablettes écrites en cunéiforme dite Mul.Apin qui constituait une sorte de manuel d’astronomie. Le texte de Mul.Apin est daté de 687 avant notre ère, mais il aurait été compilé bien avant, vers 1000 avant notre ère. Par une méthode de datation reposant sur l’analyse de la précession des équinoxes, l’astronome Bradley Shaefer affirme même que la plus ancienne observation rapportée dans ces tablettes remonte à 1370 avant notre ère14. Les tablettes comportent une liste de 71 étoiles et constellations. Hormis certaines figures zodiacales et les quatre constellations para-zodiacales déjà citées, seules trois constellations de cette liste ont été transmises aux Grecs : Orion, Persée et Andromède15. La constitution du zodiaque Au 7e siècle avant notre ère, la plupart des astérismes qui deviendront les constellations zodiacales sont donc attestées dans les textes babyloniens. Ce n’est pas un système zodiacal, mais un ensemble de figures de tailles très inégales, pas encore au nombre de douze, projetées dans le ciel. Les observations les plus anciennes, antérieures au 12e siècle avant notre ère, étaient réalisées par rapport au plan empirique de l’horizon de l’observateur. Le système zodiacal repose par contre sur l’écliptique, c’est-à-dire la ligne qui figure le trajet annuel du soleil sur la sphère céleste. L’élaboration conceptuelle de l’écliptique nécessite des observations rigoureuses et un raisonnement abstrait pour reconnaître que la place occupée par le soleil dans le ciel à un certain moment de l’année est identique à celle que l’on observe quelques mois plus tard en pleine nuit. Elle requiert ensuite des mesures précises de son inclinaison sur le plan de l’équateur, et un découpage mathématique en parties égales pour concevoir le zodiaque. Selon Pline l’Ancien, c’est Anaximandre (vers 550 avant notre ère) qui aurait découvert l’inclinaison de l’écliptique et Cléostrate de Ténédos un peu plus tard qui aurait introduit sa division en douze parties égales. Pour Eudème de Rhodes cité par Théon de Smyrne, c’est par contre Œnopide de Chios (5e s. avant notre ère) qui aurait découvert et mesuré l’inclinaison de l’écliptique, idée qu’il aurait peut-être empruntée à Pythagore. Ces sources, assez tardives puisqu’elles datent du 1e siècle de notre ère, attribuent une grande ancienneté à la conception de l’écliptique chez les Grecs. Elles sont en réalité assez confuses et peu crédibles. Il est certainement trop tôt pour parler d’écliptique au 5e siècle avant notre ère en Grèce. Seules certitudes, Anaximandre avait reconnu le trajet oblique de la Lune et du Soleil par rapport à l’équateur céleste, et, bien plus tard, Eudoxe (vers 370 avant notre ère) connaissait parfaitement le zodiaque à douze signes16. Comme pour les origines des constellations, la constitution du système zodiacal en tant que référentiel reposant sur l’écliptique doit être recherchée dans les civilisations de la Mésopotamie qui l’ont transmis ensuite aux Grecs. L’une des étapes cruciales a été l’abandon du plan empirique de l’horizon comme référentiel des observations. Vers le 12e siècle avant notre ère en effet, les textes astronomiques babyloniens se réfèrent désormais au plan de l’équateur céleste et rapportent les observations à trois séries d’étoiles organisées par ‘chemins’17. On est cependant encore loin de l’écliptique puisque ce dernier est incliné de plus de 23 degrés par rapport à l’équateur céleste. Le texte des tablettes Mul.Apin, vers 700 avant notre ère, marque une nouvelle étape puisqu’il est alors fait mention d’observations par rapport au ‘chemin de la lune’, c’est-à-dire le plan orbital de la Lune qui n’est incliné que de 5° par rapport à l’écliptique. Les positionnements sont alors exprimés par rapport à une série de 32 étoiles proches de ce ‘chemin de la lune’. La faible inclinaison de ce nouveau référentiel par rapport à l’écliptique permet alors de définir une bande du ciel scandée par 17 astérismes de tailles inégales qui renferment ces étoiles de référence. Le texte de Mul.Apin précise que ce n’est pas seulement la Lune mais aussi le Soleil et les planètes qui se meuvent le long de cette bande18. Par la suite, cet ensemble a été réduit à douze constellations en regroupant les astérismes des Pléïades et des Hyades à la constellation du Taureau et en écartant les constellations trop éloignées de l’écliptique comme Orion, Persée et le Cocher. Les douze figures subsistantes ont reçu des positions précises dans le ciel, ainsi que des contours et des dénominations stables. Cette étape cruciale est attestée en 463 ou en 475 avant notre ère selon les spécialistes19. Désormais, les observations ne sont plus rapportées à des groupes d’étoiles, elles se réfèrent à un espace abstrait construit autour de l’écliptique. Le premier zodiaque divisé en douze parties égales est attesté en 419 avant notre ère. Il est subdivisé en 360 unités correspondant approximativement à la progression du soleil dans le ciel durant une journée20. Quelques explications fantaisistes sur le rapport entre le Scorpion zodiacal et l’Aigle du tétramorphe Si trois des ‘signes fixes’ du zodiaque – le Taureau, le Lion, L’Homme versant de l’eau – correspondent à trois des quatre faces des Chérubins bibliques, la discordance entre le Scorpion et l’Aigle du tétramorphe a suscité plusieurs interprétations plus ou moins farfelues. Les ‘explications’ concernant ce hiatus Scorpion/Aigle reposent fréquemment sur des arguments spécieux à propos des origines des deux constellations et de leurs relations. Pour Michel Fromaget, par exemple, le Scorpion était autrefois nommée constellation de l’Aigle21. Cette allégation formulée avec aplomb et sans références est évidemment totalement extravagante. Comme on l’a rappelé plus haut, le Scorpion et l’Aigle figurent l’une comme l’autre parmi les plus anciennes constellations, et elles n’ont jamais été confondues ; l’une deviendra zodiacale, l’autre ne l’a jamais été puisqu’elle est située loin de l’écliptique. Dans un article de l’Encyclopaedia Universalis, l’historien et astrologue Jacques Halbronn quant à lui suggère carrément une reconstruction de l’histoire en déplorant que l’astrologie se soit alignée sur l’astronomie : “le Scorpion n’a pas été initialement inscrit dans le schéma astrologique. Il fut mis en place à un stade antérieur en tant que constellation et, d’ailleurs, la disposition des étoiles évoque assez bien cet animal, et notamment sa queue venimeuse. Deux signes auraient dû le remplacer : la Balance et l’Aigle. Pour ce qui est de l’Aigle, les astrologues ne purent aboutir, en raison de l’habitude bien ancrée de désigner cette région du ciel sous le nom de Scorpion. Au contraire, c’est le Scorpion qui va s’intégrer au symbolisme astrologique et évincer l’Aigle.”22. Dans un ouvrage aussi sérieux que l’Universalis, une telle argumentation controuvée relevant de principes obscurs est pour le moins surprenante. L’historienne de l’art polonaise Zofia Ameisenowa, citant le philologue et historien de l’astronomie Franz Boll, propose en 1949 un détour curieux par la constellation Pégase. Elle mentionne les signes zodiacaux des quatre points cardinaux, le Taureau, le Lion, l’homme du Verseau et “l’Aigle, l’étoile la plus brillante de la constellation Pégase (changée à une période inconnue pour le sinistre Scorpion)”23. Or la constellation Pégase n’est absolument pas dans la région du Scorpion puisqu’elle côtoie les Poissons et le Verseau. Qui plus est, toutes ses étoiles les plus brillantes possèdent des noms – d’origine arabe comme c’est très souvent le cas – qui se rapportent au cheval Pégase, aucune n’évoque un aigle. En 1795, l’érudit Charles-François Dupuis publie son Origine de tous les cultes, un ouvrage qui eût une grande renommée dans lequel il tente de démontrer l’origine astrale de toutes les religions. Il y soutient notamment que l’Aigle s’est substitué au Scorpion, signe redouté pour sa terrible influence supposée, parce que c’est un paranatellon de ce dernier [un paranatellon est une étoile ou une constellation qui se lève au moment où le soleil entre dans l’un des signes du zodiaque]24. Dupuis est aussi à l’origine d’une autre ‘explication’ qui fait appel aux “quatre étoiles royales de la Perse”. Selon cette conjecture, dans la Perse ancienne, quatre étoiles remarquables gardaient le ciel en marquant les équinoxes et solstices, c’est-à-dire les changements des saisons : Aldébaran dans la constellation du Taureau, Régulus dans le Lion, Antarès dans le Scorpion, et Fomalhaut dans le Poisson austral, au sud du Verseau. Ces étoiles sont brillantes et faciles à repérer, mais comme Fomalhaut, très au sud, n’est pas toujours visible, on lui aurait préféré Altaïr, l’étoile la plus brillante de l’Aigle25. La première difficulté de cette conjecture est évidente ; l’Aigle se substituerait alors au Verseau et non au Scorpion. Mais surtout, la construction séduisante des “étoiles royales de la Perse” s’est révélée être une fable comme l’a démontré l’astronome George A. Davis Jr.26. Elle provient d’une interprétation erronée par Jean Sylvain Bailly, dans son Histoire de l’Astronomie (1775), de la première traduction de l’Avesta, texte sacré du mazdéisme. Pour que les étoiles mentionnées marquent les solstices et équinoxes, on doit se projeter très loin dans le passé en vertu de la précession des équinoxes. L’erreur a ensuite été largement enjolivée par Dupuis à qui l’on doit la “dénomination pompeuse d’étoiles royales” [sic]27. La légende sera reprise de bonne foi et popularisée par de nombreux vulgarisateurs, notamment par François Arago et Camille Flammarion. Elle repose sur l’hypothèse fantaisiste que l’astronomie existait en Perse à une époque aussi reculée que 3000 ans avant notre ère alors même que l’on ne sait rien des Perses avant le 10e siècle avant notre ère28. Pour terminer, mentionnons encore une interprétation d’un tout autre ordre. Les commentaires symboliques associent parfois le Scorpion à d’autres animaux capables de muer, comme le serpent. Cette capacité de renouvellement a permis aussi d’y associer le mythique phénix, et l’aigle que l’on dit également doté du pouvoir de se régénérer et de rajeunir29. D’un point de vue symbolique, en somme, le Scorpion aurait tout aussi bien pu s’appeler Serpent, Phénix, ou Aigle, si ces noms de constellations n’avaient pas déjà été pris… Deux figures cosmiques analogues mais bien distinctes Les tentatives pour expliquer l’Aigle du tétramorphe à partir du Scorpion zodiacal (ou inversement) sont vaines. La raison en est évidente. Ézéchiel a vécu au 6e siècle avant notre ère, et l’origine des faces des Chérubins dans sa vision est à rechercher dans les figurations d’animaux hybrides à Babylone où il a été déporté. À cette époque, le zodiaque n’existait pas. Par contre, les constellations qui deviendront zodiacales, ainsi que l’Aigle, sont présentes depuis longtemps déjà dans les représentations babyloniennes du ciel. Leurs noms et descriptions sont en relation avec les figurations de divinités diverses, attestées dans différents écrits et sur des stèles et monuments. La structuration progressive du zodiaque et la vision d’Ézéchiel transcrite dans la Bible sont des processus culturels totalement indépendants bien qu’ils procèdent de sources similaires. Les faces des Chérubins n’ont rien à voir avec le système zodiacal. Mais, par l’intermédiaire des statues qui gardaient les temples mésopotamiens et peut-être les symboles figurant sur les stèles-frontières babyloniennes30, ces quatre faces ont très probablement un rapport avec trois des constellations qui formeront le zodiaque au terme d’une évolution historique difficile à préciser, et avec une autre constellation extra-zodiacale majeure, l’Aigle – ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une relation immédiate avec le système zodiacal tel que nous le connaissons. Pour le dire autrement, les quatre composantes de la vision d’Ézéchiel sont vraisemblablement en corrélation avec l’organisation figurative du ciel sous la forme d’astérismes apparus dans le même contexte culturel babylonien bien avant l’émergence du zodiaque. La vision des Chérubins chez Ézéchiel est une vision cosmique grandiose qui s’appuie sur une quadripartition symbolique et figurative du cosmos. Entre le tétramorphe et les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque, il n’existe pas de correspondance exacte ni aucune solution de continuité historique, à travers par exemple une explication ou un ‘chaînon manquant’ qui nous aurait échappé ; ce sont des figures cosmiques analogues mais bien distinctes. À l’issue de cette analyse, nous pouvons préciser maintenant cette notion que nous retrouverons. Une figure cosmique analogue au tétramorphe, c’est : un ensemble de figurations, décrites dans des textes ou représentées en images, qui sont organisées comme un tout cohérent, comme une structure ; la structure possède un caractère cosmique fort ; trois composantes figuratives au minimum de la structure sont semblables à celles du tétramorphe (homme, lion, taureau, aigle) ; il n’existe aucune relation historique directe, aucune influence mutuelle attestée entre le tétramorphe et la structure en question ; l’analogie évoquée demeure formelle. Selon cette terminologie, les quatre ‘signes fixes’ du zodiaque forment une figure cosmique analogue au tétramorphe. On peut définir aussi une ‘version forte’ d’une telle structure où les composantes figuratives correspondent manifestement à des constellations remarquables attestées depuis l’Antiquité ; dans ce cas, le modèle cosmique formé par les constellations doit être historiquement et culturellement vraisemblable. Le zodiaque est bien sûr le prototype d’une figure cosmique en ‘version forte’. Nous aurons l’occasion de rencontrer d’autres figures cosmiques analogues en ‘version faible’, c’est-à-dire pour lesquelles on ne peut pas soutenir la vraisemblance d’une relation historique et culturelle avec un modèle antérieur formé par des constellations. [sommaire] Plus exactement, Ptolémée qualifiait ces signes de “solides”, cf. Claude Ptolémée, La Tétrabible ou Les quatre livres des jugements des astres, traduit par Nicolas Bourdin, L’Arbre d’Or, Genève, octobre 2006, p. 35. Voir aussi : Germaine Aujac, Claude Ptolémée. Astronome, astrologue, géographe. Connaissance et représentation du monde habité. Paris : éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (C.T.H.S.). Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1993, p. 82. [↩] Deux exemples suffiront. Dans un livre consacré aux origines du zodiaque, Rupert Gleadow justifie le découpage du zodiaque en douze parties par la théorie des archétypes de Jung, et il estime que l’Aigle du tétramorphe à la place du Scorpion zodiacal pourrait représenter “l’aspect supérieur de cette constellation calomniée”, cf. Rupert Gleadow, Les origines du zodiaque, Stock, 1971, p. 26 et p. 148. Et dans l’ouvrage de Michel Fromaget que nous avons déjà mentionné, la parenté entre les quatre Vivants et les figures du zodiaque est évoquée uniquement à travers la vision ésotérique qu’en donne l’occultiste Rudolf Steiner, cf. Michel Fromaget, op. cit., pp. 101-102. [↩] Roslyn M. Frank, The origins of Western constellations, in Clive L.N. Ruggles (ed.), Handbook of Archaeoastronomy and Ethnoastronomy, New York, Springer Verlag, 2015, p. 151 ; voir aussi : John H. Rogers, Origins of the ancient constellations. I. The Mesopotamian traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.1, pp. 9-28, February 1998 ; II. The Mediterranean traditions, Journal of the British Astronomical Association, vol.108, no.2, pp. 79-89, April 1998. [↩] Angélique Ferrand, Du Zodiaque et des hommes. Temps, espace, éternité dans les édifices de culte entre le IVe et le XIIIe siècle, Thèse, Université de Bourgogne Franche-Comté, 2017, p. 246. [↩] “Et [Héphæstos] fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Séléné, et tous les astres dont l’Ouranos est couronné : les Pléiades, les Hyades, la force d’Orion, et l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers Orion, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.” Iliade, chant XVIII, traduction de Leconte de Lisle. Voir aussi : Sylvie Vilatte, Art et polis : le bouclier d’Achille, in : Dialogues d’histoire ancienne, vol. 14, 1988. pp. 89-107. [↩] John Tristan Barnes, Asteras Eipein: An Archaic View of the Constellations from Halai, Hesperia – The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, Volume 83, 2014. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 148 ; John H. Rogers, art. cit. II, p. 4. [↩] Bradley E. Schaefer, The epoch of the constellations on the Farnese Atlas and their origins in Hipparchus’s lost catalogue, Journal for the History of Astronomy, Vol. 36, Part 2, No. 123, 2005, pp. 167-196. [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., pp. 150 et 156 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 25 [↩] Roslyn M. Frank, art. cit., p. 151 et 154. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 10 et p. 24 [↩] John H. Rogers, art. cit. I, pp. 11-15. [↩] Paul Garelli et Marcel Leibovicci, La naissance du monde selon Akkad. In Sources orientales. Tome 1, La naissance du monde. Paris : Éditions du Seuil, 1959, p. 136 ; voir aussi John H. Rogers, art. cit. I, p. 15. [↩] Voir la page de Bradley Shaefer, Louisiana State University, Department of Physics and Astronomy. Par calcul de la précession des équinoxes, l’analyse des positions d’étoiles relevées dans des textes anciens peut permettre de retrouver la date des observations. [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 21 [↩] D’après Bartel Leendert van der Waerden, History of the Zodiac, Archiv für Orientforschung, Volume 16, 1953, p. 216. Cette étude pourtant assez ancienne, que l’on doit à un mathématicien éminent, demeure incontournable. [↩] Roland Laffitte, Naissance et diffusion du zodiaque mésopotamien, in Étoiles dans la nuit des temps, Paris : L’Harmattan, collection Eurasie n° 18, 2008, p. 115 ; John H. Rogers, art. cit. I, p. 16 sq. [↩] Voir : Roland Laffitte, art. cit., p. 116 ; B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 218-219 ; John H. Rogers, art. cit. I, pp. 17-18. [↩] Respectivement selon Roland Laffitte, art. cit., p. 163 et John H. Rogers, art. cit. I, p. 23. [↩] B. L. van der Waerden, art. cit., pp. 220. [↩] Michel Fromaget, op. cit., p. 102 [↩] Jacques Halbronn, article Astrologie, section L’Aigle et le Scorpion, Encyclopaedia Universalis, 2002. [↩] Zofia Ameisenowa, Animal-Headed Gods, Evangelists, Saints and Righteous Men, London : Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 12 (1949), p. 36. [↩] Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Paris : À la librairie historique d’Émile Babeuf, 1822 (réédition de 1795), p. 152 sq., Gallica-BnF [↩] John H. Rogers, art. cit. I, p. 24. [↩] George A. Davis Jr., The so-called royal stars of Persia, Popular Astronomy, Vol. 53, p. 149 sq., April 1945. [↩] Charles-François Dupuis, op. cit., pp. 257-259. [↩] George A. Davis Jr., art., cit., p. 152. [↩] Voir par exemple L’aigle : roi des cieux sur Bestiaire – les animaux au Moyen Âge (projet dirigé par Emanuele Arioli), et l’article Scorpio (astrology) sur Wikipedia/En. [↩] “Nous pouvons laisser ouverte la question de savoir si les symboles figurant sur les bornes-frontières babyloniennes [kudurrus] représentent des constellations ou si elles représentent des dieux qui ont été transférés ensuite dans le ciel.” B. L. van der Waerden, art. cit., p. 226. [↩]