Site de l'Association La Vie Astrologique (ex Mouvement Astrologique Universitaire). 8, rue de la Providence. 75013 Paris/ Une approche historico-critique de la littérature astrologique.
Faculté Libre d'Astrologie de Paris (FLAP)
Le but de ce blog est lié à la création en 1975 du Mouvement Astrologique Universitaire (MAU) . Il sera donc question des passerelles entre Astrologie et Université mais aussi des tentatives de constituer des enseignements astrologiques.
Constatant les lacunes des astrologues dans le domaine des
sciences sociales (hommes et femmes, structures
nationales et supranationales etc), la FLAP assurera à ses
étudiants des connaissances de première main et les plus
récentes qui leur serviront de socle pour appréhender
l'astrologie et en repenser les contours.
.
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Constatant les lacunes des astrologues dans le domaine des
sciences sociales (hommes et femmes, structures
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lundi 27 janvier 2025
Jean SANCHEZ Thèse 2022 / Lois des astres, lois des hommes, lois de Dieu : théologiens, magistrats et philosophes face à la question de l’astrologie en France (1560-1628)
Jean Sanchez
Thèse 2022
Lois des astres, lois des hommes, lois de Dieu : théologiens, magistrats et philosophes face à la question de l’astrologie en France (1560-1628)
Jean Sanchez
Avertissement au lecteur bénévole
Quelques semaines avant sa remise au jury pour examen, le manuscrit suivant a dû voir
sa rédaction interrompue par des circonstances extraordinaires indépendantes de la volonté
de l’auteur. Ce travail a été soumis malgré quelques éléments inachevés, si bien que certains
chapitres vous sont pour le moment offerts sous la forme qui fut celle présentée au jury
pour la soutenance le 30 novembre 2022. C’est le cas notamment du chapitre 11 ainsi que
de quelques sections des chapitres 8 et 13 qui n’ont pu être terminées à temps.
Je vous prie donc, cher lecteur, chère lectrice, d’excuser ces défauts, et j’espère pouvoir
vous fournir une version plus complète prochainement.
Jean Sanchez Introduction 5
Introduction
Comment une discipline scientifique peut-elle perdre son statut de science ? Comment les
savants peuvent-ils concevoir que les savoirs que leurs maitres considéraient comme légitimes
et dignes d’investigations ne soient plus que des superstitions ? Depuis la réception dans
l’Europe chrétienne des écrits de Ptolémée et de ceux des astrologues de langue arabe dans
la première moitié du 13e siècle et jusqu’à la fin du 17e
siècle, l’astrologie faisait partie intégrante de la tradition philosophique européenne. Couramment désignée sous le nom latin
d’origine aristotélicienne astrologia, plus rarement sous celui d’origine platonicienne
astronomia, cette discipline s’intéressait non seulement au calcul des trajectoires planétaires,
mais aussi à l’élaboration des horoscopes, au calcul des maisons et aspects, à l’étude des
qualités des planètes, leurs effets sur le monde sublunaire et aux pronostications qui en
découlent. La partie calculatoire de l’astrologie était habituellement enseignée sous le nom
de « doctrine de la sphère » ou astronomie. Sa partie dédiée aux pronostications sur l’avenir,
ou « jugements », était habituellement appelée astrologie judiciaire ou, tout simplement,
astrologie. C’est à elle que nous nous intéressons spécifiquement dans cette étude.
Justifiée par la philosophie aristotélicienne, compatible avec la théologie scolastique,
l’astrologie judiciaire était enseignée dans les universités européennes en tant que l’une des
composantes des mathématiques, et constituait l’une des branches les plus illustres du
quadrivium classique. Elle était utilisée en médecine afin d’expliquer l’idiosyncrasie des
patients et prédire l’évolution de leurs maladies. Elle était également utilisée en théologie et
en histoire afin d’expliquer la croissance et le déclin du corps politique et du corps de l’Église.
La plupart des astronomes européens étaient également des astrologues et conjuguaient
l’intérêt pour les mouvements célestes à la pratique horoscopique. L’amélioration de la
précision des prédictions astrologiques est l’une des motivations ayant poussé au
développement des nouvelles approches de l’astronomie au cours du 16e
siècle.
Entre le premier et le dernier quart du 17e siècle, l’astrologie judiciaire fit l’objet d’un rejet
de la part des élites scientifiques européennes, pour des raisons encore mal élucidées.
Jean Sanchez Introduction 6
L’enseignement de l’astrologie cessa dans les universités européennes et celle-ci fut de plus
en plus régulièrement accusée d’être une superstition incompatible avec les nouvelles
approches de la science et de la religion promues par la modernité. En France, cette transition
fut particulièrement précoce et brutale, aussi bien du point de vue politique qu’intellectuel.
Alors que l’astrologie jouissait d’une grande popularité à la cour des Valois et que Catherine
de Médicis honorait publiquement le médecin astrologue Michel de Nostredame dit
Nostradamus, dès les années 1575-1595, la législation royale ainsi que les assemblées
ecclésiastiques prirent la décision de censurer les écrits d’astrologie judiciaire et d’encadrer
sa pratique. Le renouveau scientifique qui caractérisa les années 1630-1650 en France,
marqué par des personnalités scientifiques comme Marin Mersenne, René Descartes, Pierre
Gassendi alla de pair avec une stigmatisation croissante de l’astrologie judiciaire. Celle-ci fut
officiellement exclue des nouvelles institutions scientifiques créées dans les années 1660, en
particulier l’Académie royale des sciences.
Plusieurs historiens ont étudié cette transition entre 1630 et 1720. Toutefois, le regard
porté sur l’astrologie par les savants n’a pas été étudié, en particulier dans la période
précédant cette transition. Cette thèse analyse le mouvement de marginalisation de
l’astrologie qui se produit en France dans les milieux savants entre 1570 et 1630. On cherche
à comprendre comment l’illégitimité scientifique de cette discipline s’est construite
historiquement du point de vue intellectuel et du point de vue social. Sur la base de traités
savants, de sermons, de textes administratifs et juridiques, on montre comment des savants
parisiens appartenant à différents groupes sociaux (théologiens, hommes de loi, philosophes)
ont échangé des arguments sur la légitimité de l’astrologie, pour finalement l’exclure des
communautés scientifiques en formation. On s’intéresse également aux mécanismes
juridiques et sociaux ainsi qu’aux stratégies militantes mis en place par les institutions civiles
et ecclésiastiques françaises afin de normaliser la pratique de l’astrologie judiciaire dans la
société.
1 L’histoire de l’astrologie : une discipline en reconstruction
Depuis les années 1980, les disciplines cataloguées comme magiques, superstitieuses ou
pseudoscientifiques par l’historiographie positiviste suscitent un nombre d’études toujours
plus important en histoire et philosophie des sciences. Cet intérêt fait suite aux travaux de
pionniers tels que Lynn Thorndike, Frances Yates, Piyo Rattansi ou Paolo Rossi qui ont mis en
Jean Sanchez Introduction 7
avant la contribution de formes de connaissance aujourd'hui rejetées à la construction des
sciences modernes1
. Le rôle heuristique du symbolisme pythagoricien pour la détermination
de la loi des aires de Kepler, l'invention de l'astrolabe dans l'Antiquité ou des logarithmes par
John Napier afin de résoudre des problèmes astrologiques sont des exemples bien connus de
l'influence de l'hermétisme ou de l'astrologie dans les sciences des 16e et 17e
siècles2
.
Désormais, un nouveau champ d’études s’est ouvert visant à étudier les disciplines ou
courants « perdants » de l’histoire des sciences non plus en cherchant seulement à identifier
leur « contribution » à l’avancement scientifique, mais pour elles-mêmes, en tant que lieu de
définition conflictuel de la frontière entre sciences légitimes et illégitimes à travers les
époques.
Parmi toutes ces disciplines, l’astrologie occupe une place particulière. Elle fait l’objet dès
l’Antiquité d’une réflexion polémique et, à la différence de plusieurs autres disciplines
académiques, elle est un objet extrêmement ancien de l’historiographie occidentale. Dès la
fin du 16e
siècle, on trouve des travaux philologiques sur les principaux textes astrologiques
de l’antiquité grecque et latine, accompagnés des premières historia astrologiae décrivant
l’origine et l’évolution de l’astrologie depuis l’Antiquité biblique jusqu’au Moyen âge. Au 17e
siècle, l’érudition historique naissante voit en l’astrologie un objet privilégié pour la
compréhension des cultures et des religions antiques et multiplie les travaux sur le sujet,
souvent avec un double objectif érudit et polémique. Preuve de la qualité et de l’influence de
ces premiers travaux, on peut signaler que l’édition des Astronomica du poète latin Manilius
1
Frances Amelia Yates, Giordano Bruno and the Hermetic Tradition (University of Chicago Press, 1964); Piyo
Rattansi et Antonio Clericuzio, Alchemy and Chemistry in the 16th and 17th Centuries, Archives Internationales
d’histoire Des Idées ; 140 (Dordrecht ; London : Kluwer Academic, 1994); Paolo Rossi, Francesco Bacone: dalla
magia alla scienza, Biblioteca di cultura moderna (Editori Laterza) ; 517 (Bari : Laterza, 1957); Paolo Rossi, Clavis
universalis: Arti mnemoniche e logica combinatoria da Lullo a Leibniz (Milano Napoli : R. Ricciardi, 1960).
2 Anthony Thomas Grafton, Cardano’s Cosmos: The Worlds and Works of a Renaissance Astrologer (Cambridge
(Mass.) London : Harvard University Press, 1999); Gérard Simon, Kepler: astronome, astrologue, Bibliothèque des
sciences humaines 59 (Paris : Gallimard, 1979); Jean-Jacques Brioist, « Entre astrologie et cartographie, la genèse
des logarithmes », Le Journal de la Renaissance 2 (janvier 2004) : 63‑74, https://doi.org/10.1484/J.JR.2.300356;
Maria Luisa Righini Bonelli et William R. Shea, Reason, Experiment, and Mysticism in the Scientific Revolution
(New York : Science history publications, 1975); Robert S. Westman et J. E. McGuire, Hermeticism and the
Scientific Revolution: Papers Read at a Clark Library Seminar, March 9, 1974 (William Andrews Clark Memorial
Library, University of California, 1977). Sur l’astrologie, on peut remarquer que le dernier ouvrage de synthèse
sur Copernic, l’un des derniers astronomes de la Renaissance à n’être pas « suspecté » d’être un astrologue,
traite de ce sujet : Robert Westman, The Copernican Question: Prognostication, Skepticism, and Celestial Order
(University of California Press, 2011). L’influence des sciences rejetées sur la modernité a été particulièrement
étudiée par : Daniel Garber et al., éd., The Cambridge History of Seventeenth-Century Philosophy (Cambridge :
Cambridge University Press, 1998).
Jean Sanchez Introduction 8
par l’érudit Joseph-Juste Scaliger (1599) ou le De annis climactericis et antiqua astrologia
diatribae de Claude Saumaise (1648), une archéologie du concept astrologique d’année
climactérique, sont encore considérées trois siècles plus tard par l’historien français Auguste
Bouché-Leclercq comme des références majeures sur leur sujet3
. Un temps mise en pause
pendant les Lumières, l’étude historique de l’astrologie renait dans la seconde moitié du 19e
siècle sous l’impulsion des philologues et historiens de l’Antiquité. Après les travaux pionniers
mené par Bouché-Leclercq sur l’astrologie dans le monde hellénistique et romain, synthétisés
dans son maitre-ouvrage L’Astrologie grecque (1899), le philologue allemand Franz Boll,
spécialiste de l’œuvre de Ptolémée, et l’assyriologue Carl Bezold font paraitre Sternglaube und
Sterndeutung : die Geschichte und das Wesen der Astrologie (1918), une histoire de
l’astrologie depuis ses origines babyloniennes jusqu’à la Renaissance européenne4
. L’ouvrage,
salué comme la première tentative d’histoire générale sur le sujet, stimule l’intérêt des
historiens pour le sujet. Après 1920, les études sur l’astrologie médiévale et renaissante se
multiplient, notamment sous l’impulsion de Lynn Thorndike et Pierre Duhem5
.
Malgré l’ancienneté du champ d’études, la période moderne de l’histoire de l’astrologie
(c’est-à-dire les années 1550-1700) n’a suscité l’intérêt des historiens que depuis les années
1970. En 1958, lors de la parution du volume 7 de la monumentale A History of Magic and
Experimental Science, Lynn Thorndike déplore le trou historiographique sur une période
cruciale de l’histoire de l’astrologie, et met en avant la nécessité de questionner le récit
positiviste défendant la « mort naturelle » de celle-ci au seuil du 17e
siècle6
. Depuis, le
domaine affiche une vitalité croissante et s’est développé dans plusieurs directions. D’un côté,
plusieurs historiens se rattachant à l’histoire de la philosophie et l’histoire des idées cherchent
à restituer la place de l’astrologie dans la démarche intellectuelle d’une époque marquée par
d’importants bouleversements scientifiques et techniques. En se focalisant sur des figures
3
Joseph-Juste Scaliger, M. Manilii Astronomicon, vol. 1 (Leiden : ex Officina Plantiniana, 1600); Claude Saumaise,
De annis climactericis et antiqua astrologia diatribae (Lugduni Batavorum : ex officina Elzéviriorum, 1648);
Auguste Bouché-Leclercq, L’astrologie grecque (Paris : Ernest Leroux, 1899).
4
Franz Boll et Carl Bezold, Sternglaube und Sterndeutung: die Geschichte und das Wesen der Astrologie (Teubner,
1918).
5 Dans leurs synthèses sur l’histoire des sciences médiévales, Thorndike et Duhem accordent de nombreux
développement à l’histoire de l’astrologie : Lynn Thorndike, A History of Magic and Experimental Science, 8 vol.
(New York : Columbia University Press, 1923); Pierre Duhem, Le système du monde: histoire des doctrines
cosmologiques de Platon à Copernic (Paris : A. Hermann, 1913).
6
Lynn Thorndike, A History of Magic and Experimental Science, vol. 7, 8 vol. (New York : Columbia University
Press, 1958).
Jean Sanchez Introduction 9
savantes de premier plan, ils cherchent à cerner les liens de l’astrologie avec d’autres
disciplines comme les mathématiques, la médecine ou l’érudition, et mettre en avant le rôle
spécifique joué par celle-ci dans la vision du monde de l’auteur. Les œuvres de personnalités
telles que Johannes Kepler (Gérard Simon, Patrick Boner, Jonathan Regier7
), Girolamo Cardano
(Anthony Grafton8
), Tommaso Campanella (Peter J. Forshaw, Michel-Pierre Lerner9
) Giovanni
Antonio Magini (Angus Clarke10), William Lilly (Kay Ellen Ackerman, Ann Geneva11), Marin
Cureau de la Chambre (Mary Ellen Eckhert12) ont bénéficié de ces approches. Les relations
conflictuelles entre l’astrologie et les mutations intellectuelles du 17e
siècle ont également été
abordées dans des perspectives générales, que ce soit à travers les mutations religieuses
(Keith Thomas13) ou le concept discuté de Révolution scientifique (Randall Styers, David
Kemp14). Plus récemment, certaines controverses philosophiques impliquant la question de
l’astrologie ont également été étudiées, comme celle entre Pierre Gassendi et Jean-Baptiste
Morin (Robert Hatch, Rodolfo Garau15).
Une autre approche importante est l’étude socioculturelle du phénomène de l’astrologie.
Plusieurs travaux se sont ainsi intéressés aux relations entretenues entre l’astrologie, les
pouvoirs institutionnels et les communautés savantes dans un cadre géographique
spécifique : par exemple, l’Angleterre (Mary Ellen Bowden, Peter Wright, Patrick Curry, Justin
7
Simon, Kepler; Patrick J. Boner, Kepler’s Cosmological Synthesis: Astrology, Mechanism and the Soul (Brill, 2013);
Jonathan Regier, « Kepler’s Theory of Force and His Medical Sources », Early Science & Medicine 19, no 1 (janvier
2014) : 1‑27, https://doi.org/10.1163/15733823-00191P01.
8 Anthony Thomas Grafton, Cardano’s Cosmos: The Worlds and Works of a Renaissance Astrologer (Cambridge
(Mass.) London : Harvard University Press, 1999).
9 Michel-Pierre Lerner, Tommaso Campanella en France au XVIIe siècle, Lezioni della Scuola di studi superiori in
Napoli 17 (Napoli : Bibliopolis, 1995); Peter J. Forshaw, « Astrology, Ritual and Revolution in the Works of
Tommaso Campanella (1568-1639) », in The Uses of the Future in Early Modern Europe, éd. par Andrea Brady et
Emily Butterworth (Londres : Routledge, 2010), 181‑94.
10 Angus G. Clarke, « Giovanni Antonio Magini (1555-1617) and Late Renaissance Astrology. » (Ph.D., University
of London, 1985).
11 Kay Ellen Ackerman, The Starry Messenger: A Life of William Lilly (Vanderbilt University, 1990); Ann Geneva,
Astrology and the Seventeenth Century Mind: William Lilly and the Language of the Stars, Social and Cultural
Values in Early Modern Europe (Manchester : Manchester University Press, 1995).
12 Mary Ellen Eckhert, « Astrology and Humors in the Theory of Man: The Works of Marin Cureau De La Chambre
and Their Importance in the Cultural Evolution of the Seventeenth Century » (PhD, Ann Arbor, United States,
University of Arizona, 1975).
13 Keith Thomas, Religion and the Decline of Magic: Studies in Popular Beliefs in Sixteenth and Seventeenth
Century England (London : Weidenfeld and Nicolson, 1971).
14 Randall Gray Styers, « Magical Theories: Magic, Religion and Science in Modernity » (Ph.D., Duke University,
1997); David Kemp, « The Scientific Revolution’s Axiomatic Rejection of Magical Thinking: The Case of Astrology
in England (1600-1700). » (Ph.D., Montréal, Concordia University, 2003).
15 Robert Alan Hatch, « Between Astrology and Copernicanism: Morin – Gassendi – Boulliau », Early Science and
Medicine 22, no 5‑6 (18 janvier 2017) : 487‑516, https://doi.org/10.1163/15733823-02256P05; Rodolfo Garau,
« Gassendi’s Critique of Astrology », Lias : Journal of Early Modern Intellectual Culture 47, no 2 (2020) : 143‑74.
Jean Sanchez Introduction 10
Doheney16), les Provinces-Unies (Steven Vanden Broecke, Rienk Vermij17), l’Écosse (Jane
Ridder-Patrick18), l’Italie (Monica Azzolini, Ornella Pompeo Faracovi19), le Saint-Empire (Robin
Barnes20), la Bohème des Habsbourg (Patrick Boner21), le Portugal (Luís Ribeiro, Luís Miguel
Carolino22), l’Espagne (Tayra Lanuza-Navarro23), la France (Jacques Halbronn, Hervé
Drévillon24), Dantzig (Jensen Derek25). On peut également noter un intérêt croissant pour le
Nouveau Monde et les lieux de mission, comme la Nouvelle-Espagne (Ana Avalos26) ou le
Pérou (Claudia Brosseder27). L’astrologie sert alors également d’objet d’investigation pour
comprendre la dynamique des transferts culturels. Desinstitutions ou des groupes sociaux ont
fait l’objet d’études spécifiques : l’université de Louvain (Steven Vanden Broecke), l’université
de Wittenberg (Claudia Brosseder), l’Inquisition (Tayra Lanuza-Navarro), les jésuites (Luís
Ribeiro, Luís Miguel Carolino). L’aspect individuel de la pratique astrologique a également
retenu l’attention de certains historiens. Il s’agit alors de comprendre comment l’astrologie a
pu servir de « technique de soi », d’outil thérapeutique, de pratique de dévotion ou d’élément
de sociabilité. On peut mentionner les études de Lauren Kassell sur les livres de consultations,
16 Mary Ellen Bowden, « The Scientific Revolution in Astrology the English Reformers, 1558-1686 » (Ph.D., Yale
University, 1974); Peter Wright, « Astrology in mid-Seventeenth-Century England: a Sociological Analysis »
(Ph.D., University of London, 1983); Patrick Curry, Prophecy and power: Astrology in Early Modern England
(Princeton University Press, 1989); Justin Dohoney, « “In So Many Ways Do the Planets Bear Witness”: The Impact
of Copernicanism on Judicial Astrology at the English Court, 1543-1660 » (Ph.D., Clemson University, 2011).
17 Steven Vanden Broecke, The Limits of Influence: Pico, Louvain,and the Crisis of Renaissance Astrology (Leiden
et Boston : Brill, 2003); Rienk Vermij, « The marginalization of astrology among Dutch astronomers in the first
half of the 17th century », History of Science 52, no 2 (2014) : 153‑77.
18 Jane Ridder-Patrick, « The Marginalization of Astrology in Seventeenth-Century Scotland », Early Science and
Medicine 22, no 5‑6 (18 janvier 2017) : 464‑86, https://doi.org/10.1163/15733823-02256P04.
19 Monica Azzolini, The Duke and the Stars: Astrology and Politics in Renaissance Milan (Harvard University Press,
2013); Ornella Pompeo Faracovi, Lo specchio alto: astrologia e filosofia fra medioevo e prima Età moderna,
Bruniana e campanellina 11 (Pisa Roma : F. Serra, 2012).
20 Robin Bruce Barnes, Astrology and Reformation (New York : Oxford University Press, 2016).
21 Boner, Kepler’s Cosmological Synthesis.
22 Luis Campos Ribeiro, « Transgressing Boundaries? Jesuits, Astrology and Culture in Portugal (1590-1759) »
(Doutoramento, Universidade de Lisboa, 2021); Luís Miguel Carolino, « The Jesuit Paradox: Intellectual Authority,
Political Power, and the Marginalization of Astrology in Early Modern Portugal », Early Science and Medicine 22,
n
o 5‑6 (18 janvier 2017) : 438‑63, https://doi.org/10.1163/15733823-02256P03.
23 Tayra M. C. Lanuza-Navarro, « Astrology in Court: The Spanish Inquisition, Authority, and Expertise », History
of Science 55, no 2 (2017) : 187‑209, https://doi.org/10.1177/0073275317710537.
24 Jacques Halbronn, « Le texte prophétique en France : formation et fortune » (Thèse de doctorat, Paris,
Université Paris 10, 1999); Hervé Drévillon, Lire et écrire l’avenir: l’astrologie dans la France du Grand siècle,
1610-1715, Époques (Seyssel [Paris] : Champ Vallon diff. Presses Universitaires de France, 1996).
25 Derek Jensen, « The science of the stars in Danzig from Rheticus to Hevelius » (Ph.D., San Diego, University of
California, 2006).
26 Ana Avalos, « As above, so below. Astrology and the Inquisition in Seventeenth-Century New Spain » (Thesis,
Florence, European University Institute, 2007), https://doi.org/10.2870/69590.
27 Claudia Brosseder, « Astrology in Seventeenth-Century Peru », Studies in History and Philosophy of Science Part
C: Studies in History and Philosophy of Biological and Biomedical Sciences 41, no 2 (2010) : 146‑57,
https://doi.org/10.1016/j.shpsc.2010.04.010.
Jean Sanchez Introduction 11
ou casebooks, du médecin-astrologue Simon Forman ou celles de Steven Vanden Broecke sur
la spiritualité astrologique de Jean-Baptiste Morin28
. D’autres thèmes de recherche peuvent
être distingués dans le champ des études sur l’astrologie moderne et nous sommes loin d’être
exhaustifs quant aux travaux cités. La bibliographie du journal Isis recense près de deux cents
références sous le thème de l’astrologie aux 16e et 17e
siècles ; elle montre la vitalité et la
complexité de ce domaine en pleine expansion. À bien des égards, une synthèse sur l’histoire
de l’astrologie moderne reste encore à écrire. Les grands récits de Jim Tester ou Nicholas
Campion sont trop généraux.
L’abondance des travaux masque néanmoins d’importantes disparités quant à la
couverture géographique et temporelle de l’Europe des années 1550-1700. Le cas de la
France, en particulier, a été peu étudié. À la différence de la période médiévale et du début
de la Renaissance (jusqu’aux années 1520 environ) qui a suscité les travaux à la fois profond
et érudits de Jean-Patrice Boudet, Nicolas Weill-Parot et Maria Sorokina, les historiens se sont
peu intéressés à la place de l’astrologie en France aux 16e et 17e
siècles
29. En ce qui concerne
les années 1520-1560, il existe une production très hétéroclite et de qualité inégale,
généralement issue de l’histoire de la littérature et dominée, pour le meilleur et pour le pire,
par les études nostradamiques. Signalons toutefois l’immense et riche étude sur le médecin
astrologue Antoine Mizauld réalisée par Jean Dupèbe qui a le grand mérite d’aborder de front
le problème de l’état de l’astrologie savante en France dans les décennies centrales du 16e
siècle30. Après 1560, le temps des Guerres de Religion et le règne d’Henri IV constituent une
terra incognita que seuls quelques historiens aient osé explorer à travers le prisme des cercles
mathématiques parisiens et de la poésie céleste (Isabelle Pantin) ou celui de la littérature des
28 Lauren Kassell, « Casebooks in Early Modern England: Medicine, Astrology, and Written Records », Bulletin of
the History of Medicine 88, no 4 (2014) : 595‑625, https://doi.org/10.1353/bhm.2014.0066; Steven Vanden
Broecke, « Catholic Spirituality and Astrological Self-Care in Seventeenth-Century France: Jean-Baptiste Morin’s
Astrologia Gallica (1661) », Lias : Journal of Early Modern Intellectual Culture 47, no 2 (2020) : 119‑41.
29 Jean-Patrice Boudet, éd., Le « Recueil des plus célèbres astrologues » de Simon de Phares, vol. 2, Société de
l’Histoire de France 515 (Paris : Honoré Champion, 1997); Jean-Patrice Boudet, Entre science et nigromance:
astrologie, divination et magie dans l’Occident médiéval (XIIe - XVe siècle) (Paris : Publications de la Sorbonne,
2006); Nicolas Weill-Parot, « Les “images astrologiques” au Moyen âge et à la Renaissance: spéculations
intellectuelles et pratiques magiques, XIIe-XVe siècle », Sciences, techniques et civilisations du Moyen âge à
l’aube des Lumières 6 (Paris, H. Champion, 2002); Maria Sorokina, « Les théologiens face à la question de
l’influence céleste. Science et foi dans les commentaires des “Sentences” (v. 1220-v.1340) » (Thèse de doctorat,
Paris, Université Paris Est, 2017).
30 Jean Dupèbe, « Astrologie, religion et médecine à Paris : Antoine Mizauld (c. 1512-1578) » (Thèse d’État,
Nanterre - Paris X, 1999).
Jean Sanchez Introduction 12
almanachs (Jacques Halbronn)31
. Pourtant, plusieurs études, en particulier les travaux de
Didier Kahn sur l’histoire de l’alchimie, ont montré la vitalité de la période 1560-1630 pour
l’histoire des sciences françaises et son importance pour comprendre les tensions opposant
novatores et tenant de la tradition à l’aube du Grand Siècle, ainsi que les rapports de force
complexe entre la Couronne, le monde parlementaire et l’Université sur la question de
l’orthodoxie des savoirs32
. En ce qui concerne le 17e
siècle, les travaux d’Hervé Drévillon ont
bien cerné les enjeux entourant les liens qu’entretient l’astrologie avec le monde politique
pendant les règnes de Louis XIII et Louis XIV, sans toutefois approfondir la question du monde
savant33
. Ce manque historiographique pour la période 1560-1700 est très regrettable. En
effet, il semble que le sort de l’astrologie dans le monde savant français se joue pendant cette
période. L’étude méconnue d’Élisabeth Labrousse sur l’éclipse de 1654 ainsi que l’article
récent de Sophie Roux sur les deux comètes de 1664-1665 montrent que le débat sur
l’astrologie s’est déjà sédimenté dans la seconde moitié du 17e
siècle, ce qui soulève la
question de la première moitié du siècle34
. Tout récemment, Steven Vanden Broecke et
Rodolfo Garau se sont intéressés à la figure ambivalente de l’astrologue Jean-Baptiste Morin,
relançant l’analyse des années 1630-1650 dans l’histoire de l’astrologie35. Dans une note de
1997, Jacques Halbronn émet l’hypothèse que le sort de l’astrologie dans le monde savant
français est déjà joué pendant les années 1620-163036. Plusieurs indices indiquent donc que
31 Isabelle Pantin, « La lettre de Melanchthon à Simon Grynaeus : Avatars d’une défense de l’astrologie », in
Divination et controverse religieuse en France au XVIe siècle, Cahiers V. L. Saulnier 4 (Paris : ENSJF, 1987), 85‑101;
Isabelle Pantin, La poésie du ciel en France dans la seconde moitié du seizième siècle, Travaux d’Humanisme et
Renaissance 297 (Genève : Droz, 1995); Isabelle Pantin, « “Fidelissima immortalis Dei nuncia” : Astrologie et
théologie de Regiomontanus à Tycho Brahe », in Cité des hommes, cité de Dieu : Travaux sur la littérature de la
Renaissance en l’honneur de Daniel Ménager, éd. par Jean Céard, Michel Bideaux, et Frank Lestringant (Genève
: Droz, 2003), 567‑80; Halbronn, « Le texte prophétique en France ».
32 Didier Kahn, Alchimie et paracelsisme en France à la fin de la Renaissance, 1567-1625 (Genève : Droz, 2007).
33 Drévillon, Lire et écrire l’avenir. Citons également : Micheline Grenet, La passion des astres au XVIIe siècle : De
l’astrologie à l’astronomie (Paris : Hachette, 1994).
34 Élisabeth Labrousse, L’entrée de Saturne au Lion : l’éclipse de soleil du 12 août 1654 (La Haye : M. Nijhoff,
1974); Sophie Roux, « The Two Comets of 1664-1665: A Dispersive Prism For French Natural Philosophy
Principles », in The Idea of Principles in Early Modern Thought, éd. par Peter R. Anstey (Sydney, Australia :
Routledge, 2014), 98‑146.
35 Steven Vanden Broecke, « An Astrologer in the World-Systems Debate : Jean-Baptiste Morin on Astrology and
Copernicanism, 1631-1634 », in Copernicus Banned : The Entangled Matter of the anti-Copernican Decree of
1616, éd. par Natacha Fabbri et Federica Favino, Biblioteca di Galilaeana, VIII (Firenze : Olschki, 2018), 223‑41;
Vanden Broecke, « Catholic Spirituality and Astrological Self-Care in Seventeenth-Century France »; Garau,
« Gassendi’s Critique of Astrology ».
36 Jacques Halbronn, « L’empire déchu ou l’astrologie au XVIIe siècle », Politica Hermetica, no 11 (1997) : 195.
Jean Sanchez Introduction 13
la période critique pour l’histoire de l’astrologie savante en France se situe entre 1560 et 1630,
c’est-à-dire précisément la période où nous possédons le moins d’études historiques.
Une autre faiblesse de l’historiographie actuelle tient à la persistance de certains préjugés
positivistes dans l’explication du sort de l’astrologie pendant la période moderne.
Qu’entendons-nous par « préjugés positivistes » ? Selon les historiens de l’astrologie de la fin
du 19e
siècle, comme Auguste Bouché-Leclercq, Franz Cumont ou Franz Boll, l’astrologie doit
être conçue comme une forme d’échappatoire pour l’esprit humain submergé par des forces
qui le dépassent. L’adhésion à l’astrologie est justifiée par des critères psychologiques : les
astrologues et leurs clients possèdent une « foi dans les astres » qui leur permet de négocier
avec leur destin. On retrouve une lecture similaire chez Keith Thomas dans son influent
Religion and the Decline of Magic (1971) : l’astrologie est un outil créé par l’esprit humain
prémoderne afin d’exercer une maitrise de forme sur des aspects de son existence qu’il ne
maitrise pas de fait comme le climat, la vie, la mort, le destin en l’absence des technologies
modernes jouant ce rôle37
. Dans ce cadre, l’exclusion de l’astrologie de la réflexion
philosophique et scientifique est une conséquence naturelle et nécessaire du développement
scientifique et technique de l’Occident. Depuis les années 1980, une nouvelle vague de
travaux a cherché à se distancier de la lecture positiviste. Reprenant les dernières orientations
de l’histoire des sciences, ils visent à rendre compte de la « crédibilité » de l’astrologie par un
contexte social, politique, institutionnel et culturel spécifique plutôt qu’en invoquant des
processus universels comme l’essor progressif de la rationalité. L’accent est alors mis sur la
variabilité de ce qui est jugé « rationnel » ou « scientifique » à une époque donnée. Toutefois,
une analyse plus précise montre que cette nouvelle historiographie poursuit l’ancrage
positiviste de l’astrologie d’au moins trois manières.
Premièrement, il existe une asymétrie dans la façon dont la littérature secondaire aborde
la question de légitimité de l’astrologie puisque seule sa légitimité, et non son illégitimité, est
conçue comme une construction historique. En effet, les historiens tendent à expliquer la
crédibilité de l’astrologie dans le monde savant en la supposant fondée sur des critères
externes de nature institutionnelle – l’inscription de l’astrologie dans le schéma pédagogique
classique, la publicité qu’elle reçoit dans les cours princières – ou intellectuelle – la cosmologie
37 Thomas, Religion and the Decline of Magic.
Jean Sanchez Introduction 14
aristotélicienne, une vision symbolique et analogique du monde, la notion de microcosme et
de macrocosme. Une fois ces critères disparus parmi les élites « lettrées » des sociétés
européennes, c’est-à-dire à partir des années 1610-1640 selon la chronologie usuellement
retenue, l’astrologie se retrouve de fait expulsée du monde savant pour ne plus subsister que
dans les couches populaires de la société, la culture ésotérique bourgeoise ou le
divertissement. Or, on peut objecter à cette lecture le fait que plusieurs éléments de la culture
prémoderne répondent à ces critères comme la physique aristotélicienne ou la médecine
galénique. Ils ne sont pourtant pas devenus des « repoussoirs » pour le monde savant. Les
historiens négligent alors le fait que l’illégitimité de l’astrologie est une construction de la
culture du 17e
siècle.
Deuxièmement, la présence de l’astrologie dans le monde savant est supposée soumise à
l’existence d’un cadre philosophique naturel stable qui viendrait la justifier. Selon cette
lecture, les mutations philosophiques de la première moitié du 17e
siècle – la mécanisation de
la philosophie naturelle, l’émergence de la pratique expérimentale, le désenchantement
religieux – auraient érodé le substrat philosophique de l’astrologie, conduisant à son rejet.
Celle-ci serait donc une victime collatérale de l’essor de la modernité philosophique. Une fois
encore, il s’agit d’indexer la légitimité de l’astrologie sur la science officielle d’une époque
donnée. Certes, ce réductionnisme philosophique appliqué à l’astrologie est en partie vrai –
ne serait-ce que chez certains philosophes naturels. Il néglige toutefois la plasticité historique
de l’astrologie, qui s’est adaptée à des contextes culturels très différents. Il néglige en outre
le fait que dans le monde lettré du 17e
siècle, l’univers philosophique n’est pas uniforme et
que la philosophie n’est pas – loin de là – la source de toute légitimité savante.
Troisièmement, la dynamique de la « mise à l’écart » de l’astrologie dans le monde savant
est supposée être le fruit d’une dynamique sociale qui a vu des groupes sociaux tenant de la
modernité philosophique supplanter politiquement des groupes partisans du cadre ancien.
Dans Prophecy and Power, Patrick Curry défend ainsi le fait que l’influence des partisans de
l’astrologie dans le monde savant anglais des années 1620-1680 est directement corrélée avec
celle du parti royaliste : l’astrologie, porteuse d’un discours conservateur sur les structures
politiques, est soutenue par l’entourage du Roi, tandis qu’elle est perçue comme une menace
par le parti révolutionnaire de Cromwell. De même, selon Hervé Drévillon, la reconnaissance
donnée aux partisans de la « nouvelle science » dans les institutions scientifiques royales sous
Jean Sanchez Introduction 15
Louis XIV a entériné la défaite définitive de l’astrologie en condamnant les membres du « vieux
monde » à l’oubli. Là encore, cette lecture est en partie vraie. Toutefois, elle est
méthodologiquement inappropriée. En effet, elle applique à l’étude de la marginalisation d’un
savoir le point de vue utilisé pour étudier l’émergence d’une idée ou d’une pratique consistant
à se focaliser sur un milieu d’émergence (l’élite scientifique) qui devient ensuite le centre pour
l’ensemble du monde savant. Au contraire, l’astrologie étant totalement intégrée dans le
monde savant, il n’existe pas de milieu privilégié pour étudier sa marginalisation : elle pourrait
disparaitre dans certaines institutions de premier plan et pourtant perdurer parmi les milliers
d’homme de loi, théologiens, médecins, mathématiciens qui composent le tissu savant
français. D’où la nécessité de s’intéresser aux figures secondaires de l’histoire intellectuelle,
aux « humbles tâcherons de la norme scientifique », avocats, théologiens de second rang,
petits astrologues, qui diffusent dans tous les coins de la société des discours sur la légitimé
ou l’illégitimité de l’astrologie. Si l’on adopte une perspective plus large, on remarque que
l’astrologie trouve des partisans et des opposants dans tous les groupes sociaux, théologiens
et hommes de loi, catholiques ou protestants, jansénistes ou ultramontains, frondeurs ou
royalistes, dévots ou libertins. Cela permet de réhabiliter le débat intellectuel sur l’astrologie
sans le réduire à une lutte sociale ; toutefois, cela nécessite de rendre compte des critères
utilisés par chaque milieu pour débattre de la légitimité ou de l’illégitimité de l’astrologie.
2 Repenser le problème de la marginalisation de l’astrologie dans la
France des 16e et 17e
siècles
Notre étude vise à jeter un regard neuf sur la question de la marginalisation de l’astrologie.
Pour cela : 1) d’une part, nous étudions le débat sur l’astrologie dans un lieu et une période
encore peu explorés, la France des années 1560-1628 ; 2) d’autre part, nous l’abordons d’une
manière nouvelle, en nous intéressant à la dynamique de marginalisation du point de vue
intellectuel et du point de vue social.
Le terme « marginalisation » a été mis en avant par Hiro Hirai et Rienk Vermij en 2017 pour
décrire « the weakening position of astrology as part of officially recognized science and as a
tool of public governance » pendant l’époque moderne, « rather than a single set of ideas or
practices which were declining, disappearing or transforming into other forms38 ». Il permet
38 Rienk Vermij et Hiro Hirai, « The Marginalization of Astrology: Introduction », Early Science and Medicine 22,
n
o 5‑6 (18 janvier 2017) : 405‑9, https://doi.org/10.1163/15733823-02256P01.
Jean Sanchez Introduction 16
de décrire la relégation de l’astrologie aux marges du monde savant, dans la sphère de
l’opinion privée ou de la culture populaire.
Nous entendons le terme « marginalisation » de deux manières différentes. En premier
lieu, il exprime le processus intellectuel de délégitimation que subit l’astrologie par rapport
aux conceptions dominantes de la norme scientifique dans les sociétés occidentales : si l’on
considère le monde savant français entre le début du 16e
siècle et le début du 18e
siècle, il est
un fait que l’astrologie judiciaire fait l’objet d’un changement brutal de classification dans le
discours scientifique, passant du statut de science à celui de superstition. En second lieu, le
terme de « marginalisation » exprime le processus social de stigmatisation de ceux qui
soutiennent des thèses associées à l’astrologie. De la seconde moitié du 16e
siècle jusqu’au
milieu du 17e
siècle, l’astrologie judiciaire est criminalisée dans plusieurs cours de justice
civiles et ecclésiastiques européennes ; celles-ci mettent en place, avec des temporalités
différentes selon les pays et les types de juridictions, des mesures répressives pour interdire
la diffusion des écrits dépassant les « termes de l’astrologie licite » et sanctionner la pratique
horoscopique. De plus, à partir de la première moitié du 17e
siècle, la recherche intellectuelle
dans le domaine de l’astrologie commence à faire l’objet d’un dénigrementsystématique dans
les cercles les plus en vue du monde savant.
Contrairement à d’autres processus de rejet de théories scientifiques comme la théorie
aristotélicienne du vide au milieu du 17e
siècle, celle du phlogiston au 18e
siècle ou celle de
l’éther au début du 20e
siècle, le processus de délégitimation de l’astrologie pendant l’époque
moderne ne correspond pas seulement au rejet par un groupe d’individus d’une description
de la nature au détriment d’une autre dans le cadre d’un débat entre égaux. Il opère à une
échelle beaucoup plus importante, celle de l’ensemble des élites politiques, scientifiques et
religieuses d’un pays ; celles-ci, par le biais de la législation civile et ecclésiastique, sont
capables de produire un discours normatif officiel sur l’astrologie influent à l’échelle de la
société entière. En outre, il s’accompagne de la construction d’une mémoire négative visant à
faire de l’astrologie l’anti-modèle de ce que devrait être une bonne science. Dans ce cadre, le
problème est double. Du point de vue historique, il s’agit d’expliquer les raisons pour
lesquelles l’astrologie a changé de statut dans l’ordre des savoirs légitimes dans l’espace
savant français dans la première moitié du 17e
siècle. Du point de vue philosophique, il s’agit
Jean Sanchez Introduction 17
d’identifier les mécanismes par lesquels s’opère au sein d’une communauté savante la
marginalisation d’une discipline.
Afin de ne pas poursuivre l’ancrage positiviste de l’astrologie, nous voulons nous distinguer
de deux approches : la première considère l’astrologie est la victime passive de l’émergence
de la modernité scientifique ; la seconde approche considère que la marginalisation de
l’astrologie est d’abord le résultat d’une dynamique sociale locale qui a vu des groupes
« novateurs » du point de vue philosophique exclure des institutions scientifiques les groupes
« conservateurs ». Nous voulons ainsi montrer comment l’astrologie a été l’objet d’une
marginalisation « active ». La mise à l’écart de l’astrologie n’est pas une « mort silencieuse »,
mais est le fruit d’un combat : il a été opposé à l’astrologie des « discours de marginalisation »
construits progressivement entre le milieu du 16e
siècle et le milieu du 17e
siècle, et portée
par des individus comme Marin Mersenne ou des institutions comme la Chancellerie ou
l’Église de France. En outre, nous cherchons à montrer que le débat sur la légitimité de
l’astrologie est un débat global : il s’est produit non pas seulement dans un petit cercle des
mathématiciens novateurs, mais dans toutes les couches du monde lettré, y compris chez les
partisans de l’aristotélisme, les théologiens scolastiques et les hommes de loi indifférents aux
querelles philosophiques. Dans ce cadre, nous portons un intérêt particulier aux dynamiques
intellectuelles militantes, c’est-à-dire à la façon dont des groupes de savants ont su faire
adopter leurs propres discours sur l’astrologie par d’autres groupes plus importants ou par
des institutions dotées de moyens techniques et humains pour les imposer.
Notre lieu d’investigation est la communauté savante parisienne entre 1560 et 1628. Aux
16e et 17e
siècles, Paris accueille une communauté lettrée large et diverse dans ses institutions
de pouvoir (la Cour et le Parlement), ses institutions religieuses et son université. Surtout, en
tant que centre du pouvoir politique, religieux et administratif français, elle est un carrefour
des réflexions sur la norme et l’orthodoxie des savoirs. Le terme « parisien » est à entendre
dans un sens large : beaucoup des figures que nous étudions n’ont passé qu’une partie de leur
carrière dans la capitale, ou oscillent entre celle-ci et leur fief de province ; le monde savant
du 16e
siècle à la différence de celui du siècle suivant est encore particulièrement mobile et
décentralisé. Nous faisons aussi une brève excursion par Lyon (placée sous la juridiction
parisienne) lorsqu’il s’agit d’étudier les régimes de censure. Toutefois, Paris reste le lieu
privilégié de formation et de confrontation intellectuelles pour tous nos acteurs. Le choix de
Jean Sanchez Introduction 18
cette ville vise aussi à signifier que n’étudions pas d’autres lieux importants pour la vie
intellectuelle française comme Montpellier et sa faculté de médecine, un haut lieu de
l’astrologie médicale en France, les académies protestantes ou les cours princières de
province. Les dates choisies, 1560 et 1628, marquent le début et la fin du processus de
pénalisation de l’astrologie judiciaire en France. En 1560, lors des états généraux d’Orléans,
les députés du clergé présentent une remontrance auprès de la Couronne afin que soient
réprimées les pronostications astrologiques. Cette demande est entérinée dans l’article 26 de
l’ordonnance d’Orléans du 31 janvier 1561, le premier texte du droit gallican à faire mention
du terme « astrologie ». Enfin, le 20 janvier 1628, en plein siège de La Rochelle, le roi Louis XIII
proclame l’interdiction des « prédictions concernant les états et personnes, les affaires
publiques et particulières », clôturant par ce fait plusieurs décennies de débats juridiques et
théologiques sur la licéité de l’astrologie judiciaire. Ces deux textes illustrent aussi le passage
d’une norme théologique à une norme laïque dans la définition de la licéité des savoirs : dans
le premier, la définition de l’astrologie licite est confiée aux évêques, tandis que dans le
deuxième, c’est le Roi lui-même qui s’en charge.
Nous nous intéressons à des savants appartenant à de multiples groupes sociaux : des
prélats, des théologiens réguliers et séculiers, des médecins, des avocats, des magistrats, des
maitres des requêtes, des mathématiciens, des faiseurs d’almanachs, des gens de Cour. Nous
nous focalisons en particulier sur les hommes d’Église et les hommes de loi, ceux qu’on
surnomme les gens de Robe, ou la Robe. On y trouve quelques noms connus de l’histoire des
sciences comme Marin Mersenne et Nicolas-Claude Fabri de Peiresc. On y trouve également
des personnages plutôt rattachés à l’histoire de la théologie (Simon Vigor, François Garasse,
Jean Porthaise), de la Cour (Cosimo Ruggieri), de la littérature (François de Cauvigny de
Colomby) ou du droit (Pierre de Lancre, François de l’Alouëte, Charles Annibal Fabrot, Jean
Duret). On y trouve enfin beaucoup de noms aujourd’hui obscurs, mais qui ont joui de leur
temps d’une certaine renommée comme les théologiens Jean Cotreau et Jacques Suarez de
Sainte-Marie, les astrologues Noël-Léon Morgard, Jean Petit, le prévôt Charles Molière,
l’ancien minime Claude Pithoys, le mathématicien Barthelemy Heurtevyn. Ils s’expriment sur
l’astrologie dans le cadre de débats disciplinaires sur la théologie, le droit ou la philosophie.
Les supports qu’ils utilisent sont multiples : manuel de philosophie, manuel d’astrologie,
sermons, cours universitaires, commentaires de la Summa theologiae de Thomas d’Aquin,
Jean Sanchez Introduction 19
traités d’exégèse, manuel de droit, commentaire des ordonnances royales, traités polémiques
sur l’astrologie, ouvrages historiques, almanachs. Ils approchent la question de la légitimité
de l’astrologie à travers de multiples prismes, construisant ainsi un débat global sur
l’astrologie qui irrigue toutes les couches du monde savant.
3 Une approche intellectuelle et sociale des débats des années
1560-1628
L’étude est divisée en six parties.
Les parties 1, 2 et 3 se concentrent sur la période 1560-1614. On y étudie l’émergence
d’une controverse sur la légitimité de l’astrologie dans l’Église et la Robe. Alors que les
Guerres de Religion s’enlisent et que la Réforme catholique s’amorce, la plupart des élites
politiques, religieuses et scientifiques du royaume estiment que la purification des mœurs est
une condition nécessaire pour le retour de la paix et le renouveau spirituel de la France. Dans
ce contexte, plusieurs théologiens et prélats accusent l’astrologie d’être une superstition et
une idolâtrie et, lors des états généraux de Blois de 1576-1577, ils poussent la Couronne à
prendre des mesures légales contre elle, ce qui lance le débat parmi les jurisconsultes. La
question de la licéité des prédictions astrologiques individuelles voit alors s’opposer deux
camps : l’Église de France qui professe leurs condamnations sous l’influence d’un courant
théologique augustinien ; le monde juridique qui reconnait à certains astrologues une mission
prophétique dans la société. Le débat doctrinal, marqué par l’essor de la théologie positive et
de l’humanisme juridique, est un débat d’autorité plus que de philosophie naturelle : le
consensus des autorités scripturaires contre l’astrologie (la Bible, les docteurs, le droit romain
et le droit canon) s’impose face aux avis des philosophes divisés sur le sujet. Malgré leurs
regards différents sur l’astrologie, les autorités civiles et ecclésiastiques s’accordent sur la
mise en place d’une censure du livre d’astrologie.
Les parties 4 et 5 se penchent sur les années 1614-1630. Sous la régence de Marie de
Médicis, plusieurs scandales impliquent des figures représentant l’astrologie en France,
accusées d’athéisme ou d’infidélité au Roi. Malgré une factualité douteuse, ils sont pris
comme prétextes pour relancer le débat sur la légitimité de l’astrologie, reconfigurant
l’équilibre des forces dans le débat intellectuel et politique sur le sujet. La Robe se réapproprie
le débat doctrinal : elle présente l’astrologie comme un problème théologico-politique
exigeant la répression des faiseurs de prédictions. À l’inverse, le monde théologique pris dans
Jean Sanchez Introduction 20
un conflit entre thomisme et augustinisme se montre plus hésitant. En 1628, la Couronne
criminalise unilatéralement les prédictions astrologiques individuelles, se désolidarisant de la
norme théologique sur l’astrologie. Elle fonde dès lors une approche laïque de la légitimité
des savoirs.
La partie 6 s’intéresse aux arguments développés par le religieux minime Marin Mersenne.
Figure de proue de la controverse anti-astrologique pendant les années 1623-1635, il met en
avant les limites de l’argumentation par les autorités en matière d’astrologie, et défend le fait
qu’une approche plus rigoureuse des sciences invalide la possibilité même de l’astrologie. Les
propos de Mersenne inaugurent une nouvelle période de la controverse anti-astrologique où
ce sont désormais les philosophes qui défendent le fait que l’astrologie judiciaire ne peut être
une science.
Des sermons du théologien Simon Vigor aux traités exégétiques et philosophiques du
religieux minime Marin Mersenne, des commentaires juridiques du jurisconsulte Jean Duret
au pamphlet anti-astrologique de François de Cauvigny, des procès-verbaux des états
généraux de Blois de 1576-1577 à la déclaration de La Rochelle de 1628, on observe ainsi que
l’astrologie, élément contesté de l’ordre des savoirs préclassique, est parvenue à mobiliser
contre elle des forces très différentes : réformateurs du catholicisme, défenseurs de l’autorité
royale, promoteurs de nouvelles philosophies de la nature. Dans le contexte de scandales
impliquant des astrologues des années 1614-1628, les adversaires de l’astrologie mobilisent
les critères de légitimité reconnus dans leur discipline (théologie, droit, philosophie) pour la
présenter comme une superstition et une menace pour la société. Ils parviennent dès lors à
influencer la législation royale qui devient de plus en plus sévère à l’encontre des astrologue
Jean SANCHEZ Thèse 2022 / Lois des astres, lois des hommes, lois de Dieu : théologiens, magistrats et philosophes face à la question de l’astrologie en France (1560-1628)
Direction :
Sophie Roux
Discipline(s) :
Epistémologie, histoire des sciences et des techniques
Date :
Soutenance le 30/11/2022
Etablissement(s) :
Université Paris sciences et lettres
Ecole(s) doctorale(s) :
École doctorale Lettres, Arts, Sciences humaines et sociales (Paris ; 2010-....)
Partenaire(s) de recherche :
Laboratoire : République des savoirs : lettres, sciences, philosophie
Établissement de préparation de la thèse : École normale supérieure (Paris ; 1985-....)
Jury :
Président / Présidente : Isabelle Pantin
Examinateurs / Examinatrices : Sophie Roux, Isabelle Pantin, Didier Kahn, Steven Vanden Broecke, Koen Vermeir, Claudio Buccolini
Rapporteur / Rapporteuse : Didier Kahn, Steven Vanden Broecke
Lois des astres, lois des hommes, lois de Dieu : théologiens, magistrats et philosophes face à la question de l’astrologie en France (1560-1628)
Jean Sanchez (1)
1 La République des savoirs : Lettres, Sciences, Philosophie
Résumé
Comment une discipline scientifique peut-elle perdre son statut de science ? Comment les savants peuvent-ils concevoir que les savoirs que leurs maitres considéraient comme légitimes et dignes d’investigations ne soient plus que des superstitions ? Cette thèse analyse le mouvement de marginalisation de l’astrologie qui se produit en France dans les milieux savants entre 1560 et 1628. On cherche à comprendre comment l’illégitimité scientifique de cette discipline s’est construite historiquement du point de vue intellectuel et du point de vue social. Sur la base de traités savants, de sermons, de textes administratifs et juridiques, on montre comment des savants parisiens appartenant à différents groupes sociaux (théologiens, hommes de loi, philosophes) ont créé et échangé des arguments sur la légitimité de l’astrologie, pour finalement l'exclure des communautés scientifiques en formation. On s’intéresse également aux mécanismes juridiques et sociaux ainsi qu’aux stratégies militantes mis en place par les institutions civiles et ecclésiastiques françaises afin de normaliser la pratique de l’astrologie judiciaire dans la société. L’astrologie, élément contesté de l’ordre des savoirs préclassique, est parvenue à mobiliser contre elle des forces très différentes : réformateurs du catholicisme, défenseurs de l’autorité royale, promoteurs de nouvelles philosophies de la nature. En phase avec l’actualité polémique, en particulier les scandales juridiques impliquant des astrologues des années 1614-1628, les adversaires de l’astrologie mobilisent les critères de légitimité reconnus dans leur discipline (théologie, droit, philosophie) pour la présenter comme une superstition et une menace pour la société. Ils parviennent dès lors à influencer la législation royale qui devient de plus en plus sévère à l’encontre des astrologues.
Bibliographie
J SANCHEZ · 2020 · — Astrologie, Kabbale et histoire dans les Curiositez inouyes (1629) de Jacques Gaffarel Journal: Lias Volume: 47 Issue: 2 Date: 2020
https://www.baglis.tv/esprit/religions/3479-astrologie-politique-xviieme-siecle-morin-villefranche.html
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