Site de l'Association La Vie Astrologique (ex Mouvement Astrologique Universitaire). 8, rue de la Providence. 75013 Paris/ Une approche historico-critique de la littérature astrologique.
Faculté Libre d'Astrologie de Paris (FLAP)
Le but de ce blog est lié à la création en 1975 du Mouvement Astrologique Universitaire (MAU) . Il sera donc question des passerelles entre Astrologie et Université mais aussi des tentatives de constituer des enseignements astrologiques.
Constatant les lacunes des astrologues dans le domaine des
sciences sociales (hommes et femmes, structures
nationales et supranationales etc), la FLAP assurera à ses
étudiants des connaissances de première main et les plus
récentes qui leur serviront de socle pour appréhender
l'astrologie et en repenser les contours.
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vendredi 2 décembre 2022
Angélique Ferrand Les signes au sein du cycle du Zodiaque comme lieux de mémoire et reflets de l'ordre cosmqie.
Figuration of the Zodiac cycle between Antiquity and Middle Ages as place of Memory and Re-semantization
Angélique Ferrand
https://doi.org/10.4000/imagesrevues.8001
Résumé | Index | Plan | Texte | Notes | Illustrations | Citation | Auteur
Résumés
FrançaisEnglish
Cette étude vise à rendre compte des enchâssements figuratifs, ontologiques et idéologiques à l’œuvre dans la figuration du cycle du Zodiaque entre Antiquité et Moyen Âge. Il s’agit de montrer que la figuration du Zodiaque, du fait de sa transmission tout au long de ces siècles, mais aussi du fait de son contenu idéologique, est un lieu de mémoire à différents niveaux. Cette pérennité s’accompagne d’un processus de re-sémantisation reposant notamment sur des jeux de résonnance et d’analogie dont nous donnons ici un aperçu. À travers différentes images choisies entre Antiquité et Moyen Âge, nous analysons la figuration du Zodiaque en trois temps, en rapport avec les notions de mémoire et d’ordre, puis quant aux moyens graphiques d’une mise en réseau visuelle et idéologique et d’une médiation entre terre et ciel, et enfin en tant que référence à l’Antique et comme lieu d’une re-sémantisation. Entre articulations, médiations, imbrications visuelles et sémantiques, le cercle du Zodiaque apparaît comme un élément liminaire et transitif dans les images et leurs lieux, entre Antiquité et Moyen Âge.
Les signes au sein du cycle du Zodiaque comme lieux de mémoire et reflets de l’ordre cosmique
Cercle, médaillon, clipeus : les moyens graphiques d’une mise en réseau et d’une médiation entre terre et ciel
Référence à l’Antique et re-sémantisation du Zodiaque
1 Aratos, Phénomènes, Jean Martin (éd., trad.), 2 vol., Paris, Les Belles Lettres, 1998, v. 545-553.
On l'appelle le cercle des figures. Sur lui se trouve le Cancer, puis le Lion, et ensuite la Vierge ; puis les Pinces et le Scorpion lui-même, et le Sagittaire, et le Capricorne ; et à la suite du Capricorne, le Verseau, puis les deux Poissons étoilés, et à leur suite le Bélier, puis le Taureau et les Gémeaux. Le soleil parcourt ces douze figures en conduisant la marche de l'année entière, et selon sa progression autour de ce cercle se développent toutes les saisons, maîtresses des récoltes.1
2 À propos de la notion de survivance, voir notamment Georges Didi-Huberman, L'image survivante. Hist (...)
3 À ce sujet, voir Stefania Caliandro, Images d’images. Le métavisuel dans l’art visuel, Paris, L’Har (...)
4 Georges Didi-Huberman, « Au pas léger de la servante. Savoir des images, savoir excentrique », Pasc (...)
1C’est ainsi que le Zodiaque est défini par Aratos de Soles (315-239 av. J.-C.), auteur essentiel pour la tradition zodiacale. Cette description succincte de l’ordre zodiacal met l’accent sur l’articulation entre les douze signes au sein du cercle zodiacal, lequel est parcouru par le soleil au fil de l’année, tandis que les saisons se succèdent en correspondance avec ce mouvement cyclique ainsi rythmé. Cet enchâssement rythmique et cyclique est traduit visuellement dans les images figurant les signes zodiacaux entre Antiquité et Moyen Âge. De fait, l’iconographie des signes du Zodiaque est traversée par la question du méta-figuratif de différentes manières. Plusieurs exemples de figuration du Zodiaque peuvent être mis en série, afin d’appréhender les moyens et enjeux d’un enchevêtrement d’images qui puisent leur efficacité dans leur appartenance à une tradition astrologico-astronomique et plus largement cosmologique. Il s’agit d’une certaine manière d’aborder les images du Zodiaque et leur contenu méta-figuratif sous l’angle du concept de « Nachleben » développé par Aby Warburg (1866-1929) et ses continuateurs. Ce concept cristallise les rapports étroits entre Antiquité et Moyen Âge selon un principe de « survivance » qui fascina Warburg et fut approfondi notamment par Jean Adhémar (1908-1987) et Jean Seznec (1905-1983)2. La survivance renvoie également au contenu mémoriel des images tout en caractérisant la perspective « métavisuelle » de l’approche warburgienne3. Comme l’a souligné Georges Didi-Huberman à propos des relations sensibles entre les images issues de différentes périodes et vis-à-vis de la démarche d’Aby Warburg, « la temporalité des images enchevêtre tout cela dans une trame complexe de parcours indirects et de transmissions invisibles »4. Or un tel processus et un tel enchevêtrement sont perceptibles dans la question de l’iconographie zodiacale. La tradition visuelle du Zodiaque peut être donnée à réfléchir en termes de transmission, de superpositions et autres survivances, afin de mettre en relief un certain enchâssement figuratif et ontologique des images zodiacales entre Antiquité et Moyen Âge.
2Au fil de différentes images du Zodiaque choisies entre Antiquité et Moyen Âge, nous proposons de montrer comment les cycles zodiacaux sont des lieux de mémoire à différents niveaux, tout en faisant l’objet d’un processus de re-sémantisation selon un processus d’enchâssement visuel et idéologique participant à la richesse et à la complexité de ces images. Nous explorerons dans un premier temps ce qui relève d’une pensée méta-figurative à l’intérieur du cycle du Zodiaque et au sein de la tradition antique transmise au Moyen Âge. Les rapports des signes zodiacaux à la mémoire et à la notion d’ordre seront observés. Dans un deuxième temps, le cycle zodiacal sera pris dans son ensemble, afin d’envisager les moyens graphiques mis en œuvre pour traduire une mise en réseau des signes et des autres figures et thèmes auxquels ils furent associés. Dans un troisième temps, nous insisterons sur la référence à l’Antique, ainsi que sur les moyens et enjeux d’une certaine re-sémantisation chrétienne du Zodiaque au Moyen Âge.
Les signes au sein du cycle du Zodiaque comme lieux de mémoire et reflets de l’ordre cosmique
5 Jean Soubiran, « Voir et faire voir les constellations », Pallas, 69, 2005, p. 223-232.
6 Ératosthène de Cyrène, Catastérismes, Jordi Pàmias i Massana, Arnaud Zucker (éd.), Paris, Les Belle (...)
7 À ce propos, voir notamment Françoise Gury, Le Zodiaque gréco-romain, une approche iconographique, (...)
3Eudoxe de Cnide (408-355 av. J.-C.), Aratos de Soles (315-239 av. J.-C.) ou bien encore Ératosthène (284-204 av. J.-C.) comptent parmi les principaux auteurs antiques qui ont fondé la tradition zodiacale. Copiés, traduits, commentés, leurs textes furent transmis au Moyen Âge. Une certaine dimension méta-figurative des images zodiacales est sensible dans leur rapport à la mémoire. Cette mémoire est à la fois celle de l’Antiquité et celle du savoir relatif aux étoiles véhiculé notamment par les figures zodiacales et leur mythologie. La tradition textuelle antique aux racines astrologiques et astronomiques enchevêtrées dont hérita le Moyen Âge, cherche à « faire voir » les connaissances relatives aux étoiles et les constellations elles-mêmes pour reprendre l’expression de Jean Soubiran5. Ce soin apporté au « faire voir » fait toute la richesse de l’iconographie zodiacale et relève d’un jeu d’échos et d’imbrications visuelles. Les étoiles formant les constellations correspondent à un « repérage spatial et temporel » et non pas à un inventaire systématique6. En effet, les constellations – dont celles des signes du Zodiaque – sont fondées sur un processus de schématisation de la répartition des étoiles. La catastérisation des signes du Zodiaque, autrement dit leur mythologisation, permet d’ancrer ce schéma dans la mémoire et achève le processus d’abstraction. Dans les récits de type catastérismique, c’est-à-dire dans les fables astronomiques narrant les raisons d’être de chaque constellation et exposant leur identification à tel ou tel personnage mythologique, les positions des étoiles qui forment les constellations sont mises en correspondance avec les parties du corps des personnages mythologiques auxquelles elles sont associées7. Ce fonds mythologique constitue un répertoire relativement continu pour la tradition zodiacale d’un point de vue visuel.
Figure 1Figure 1
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Figure 1
Le Cancer, le Lion, la Vierge et la Balance, 1ère moitié du xie siècle, enluminure, Dijon, Bibliothèque municipale, ms 448, fol. 66.
© Institut de recherche et d'histoire des textes - CNRS.
http://www.enluminures.culture.fr
8 Rome, Bibliothèque Vaticane, Reg. Lat. 309, IXe siècle, prov. Saint-Denis, fol. 91v à 99r, numérisé (...)
9 Dijon, Bibliothèque municipale, ms 448, prov. abbaye Saint-Bénigne, 1ère moitié du xie siècle, fol. (...)
10 Sur ces reliefs, voir en particulier Serafin Moralejo Alvarez, « Pour l'interprétation iconographiq (...)
4Dans les manuscrits copiés au Moyen Âge, les constellations prennent la forme des figures mythologiques concernées et sont souvent marquées des étoiles qui les composent. C’est le cas par exemple dans un recueil de textes computistiques et astronomiques provenant de Saint-Denis, le manuscrit Reg. Lat. 809 datant du ixe siècle8. Dans le catalogue des constellations De ordine ac positione stellarum in signis, les corps des figures zodiacales sont marqués de petits motifs rayonnants visant à rendre compte, à l’intérieur de l’image, de la position des étoiles formant les constellations. Ces motifs rayonnants sont formés en majorité de huit petits rayons pointés à leur extrémité et disposés autour d’un point central. De manière un peu différente du point de vue du traitement, dans un recueil de textes astronomiques provenant de l’abbaye Saint-Bénigne de Dijon et datant du xie siècle (Fig. 1), les étoiles sont repérées par des points ocres peints sur les figures zodiacales et les autres constellations9. Les signes du Zodiaque sont finement dessinés à l’encre et les étoiles concernées sont comme imprimées sur leurs corps. La mention des étoiles relatives aux signes du Zodiaque est beaucoup plus rare dans les images zodiacales situées en dehors des manuscrits. Sur les bas-reliefs du portail de la basilique Saint-Isidore de León sculptés au début du xiie siècle, les signes du Zodiaque sont entourés de petits motifs circulaires sculptés en méplat10. Ces motifs constellent le fond des reliefs quadrangulaires en question. La présence de ces étoiles ainsi signifiées autour des signes zodiacaux témoigne de l’influence des manuscrits sur leur iconographie monumentale. Quoi qu’il en soit, la mention des étoiles au sein des figures zodiacales constitue un trait d’union entre une réalité astrale et une figure astrale mythologisée, voire fantasmée, qui rend visible ou aide à la visualisation de la constellation. Les mythes associés aux signes zodiacaux comme aux autres constellations facilitent leur identification et leur figuration.
11 Mary Carruthers, Machina Memorialis. Méditation, rhétorique et fabrication des images au Moyen Âge,(...)
5De fait, les récits attachés aux constellations depuis l’Antiquité sont des « fables inventoriantes » permettant de « localiser » la mémoire du repère stellaire11. Mary Carruthers décrit ainsi leur fonction :
12 M. Carruthers, Machina Memorialis, op. cit., p. 42.
Ces fables offrent une forme susceptible d’accueillir un matériau ; en même temps qu’elles relatent, elles relient les uns aux autres plusieurs éléments d’information à l’intérieur d’un réseau organisé immédiatement mémorisable – ce qui est la fonction même de l’inventaire mémoriel12.
Figure 2Figure 2
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Figure 2
Mosaïque de pavement de la salle 6 de la villa de Münster-Sarmsheim, 270 ap. J.-C., mosaïque, Münster (Allemagne), Bonn, Rheinisches Landesmuseum.
Cliché Holly Hayes
13 Ces détails s’expliquent également par l’utilisation de sphères célestes pour décrire et narrer l’h (...)
14 Cf. F. Gury, « Principes de composition de l'image zodiacale », op. cit.
15 Münster, Allemagne, mosaïque de pavement de la salle 6 de la villa de Münster-Sarmsheim, Bonn, Rhei (...)
16 À ce sujet, voir notamment B. Obrist, « La représentation carolingienne du zodiaque », op. cit.
17 M. Carruthers, Machina memorialis. op. cit., p. 275.
6Ainsi, chaque signe zodiacal est une méta-image au sein du cycle et vis-à-vis du texte, telle une mise en abyme du savoir ancré dans le récit catastérismique, mais aussi d’un point de vue visuel. Les relations étroites entre la figure catastérisée et le schéma des étoiles formant la constellation repérable nous paraissent fonctionner selon un principe méta-figuratif. Les liens tissés entre le schéma stellaire et la figure zodiacale catastérisée font de celle-ci un réceptacle mémoriel. Dans les textes, les étoiles composant les constellations sont situées les unes par rapport aux autres et surtout en fonction de leur position sur le corps de la figure astrale13. Placées bien souvent sur la tête, les bras, le torse ou sur des objets tenus par les figures zodiacales, ces étoiles et leur position impliquent un geste, une position, un attribut qui sont souvent expliqués par le mythe. Françoise Gury, qui a étudié le Zodiaque gréco-romain, a montré que les signes sont également disposés, orientés les uns par rapport aux autres au sein du cycle14. On peut le constater en particulier sur les compositions circulaires du Zodiaque, dont celles concernant des mosaïques de pavement. C’est le cas du pavement de la villa de Münster-Sarmsheim datant du iiie siècle (Fig. 2)15. Cet enchaînement visuel des signes zodiacaux disposés en cercle a perduré au Moyen Âge, notamment dans les illustrations des textes relatifs aux constellations16. Ainsi liées les unes aux autres, les figures zodiacales forment ce que Mary Carruthers a désigné comme une « chaîne mnémotechnique »17. La description des constellations relève d’un système dynamique et analogique traduit dans leur mise en image. Cette dernière articule les étoiles et leur projection mythologisée, tout en donnant à voir l’enchaînement signifiant des signes zodiacaux.
18 Ms Harley 647, Londres, British Library, vers 830-840, fol. 2v à 17v, http://www.bl.uk/manuscripts/ (...)
19 À propos des carmina figurata, voir notamment Paul Zumthor, Langue, textes, énigmes, Paris, éd. du (...)
7Sur un manuscrit datant du ixe siècle, le manuscrit Harley 647, c’est l’écrit, autrement dit la description de la constellation elle-même, qui donne corps à la figure astrale18. Dans ce recueil de textes astronomico-astrologiques provenant du nord de la France, la traduction de Cicéron du texte aratéen dessine le corps des figures zodiacales, de sorte que les vers du poète latin prennent une dimension visuelle. Les lettres et les mots sont la matière de ces figures dont les contours sont à peine esquissés, tandis que seules la tête et les extrémités du corps sont peintes. Le jeu entre la couleur apposée sur le folio et l’écrit qui fait apparaître les figures zodiacales participe à l’efficacité visuelle de ces dernières. Les étoiles formant la constellation sont également indiquées par de petits cercles jaune doré. Ainsi, forme et écrit, repère et récit sont combinés dans ces carmina figurata, qui s’apparentent au procédé du calligramme19. Ces enluminures témoignent de l’articulation mnémonique entre le récit et la figure dans la tradition zodiacale. Elles traduisent l’enchâssement du savoir sur les astres dans la littérature catastérismique, elle-même mise en images.
Figure 3Figure 3
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Figure 3
Évangéliaire, fin du xe siècle, enluminure, Baltimore, Walters Art Museum, Ms. W.3, prov. Fleury (?), fol. 15r.
Cliché Walters Art Museum, http://www.thedigitalwalters.org/Data/WaltersManuscripts/html/W3/
20 Cf. D. Blume, M. Haffner, W. Metzger, Sternbilder des Mittelalters, op. cit., vol. I.1, p. 58.
21 Ibid.
22 Un certain nombre d’exemples sont réunis dans Column Hourihane (éd.), Time in the medieval world, O (...)
23 Baltimore, Walters Art Museum, Ms. W.3, prov. Fleury (?), fin du xe siècle, fol. 12r à 17v. Voir Ca (...)
24 Göttingen, Universitätsbibliothek, Cod. Theol. 231, vers 980, prov. Fulda, fol. 251r-256v ; Munich, (...)
25 Jean-Claude Schmitt, Les rythmes au Moyen Âge, Paris, Gallimard, 2016, p. 156-157.
26 New York, Pierpont Morgan Library, Ms. G. 73, psautier, prov. Allemagne, abbaye de Komburg (?), ver (...)
27 À ce sujet, voir notamment Jean Daniélou, « Les douze Apôtres et le Zodiaque », Vigiliae Christiana (...)
8Lieux de mémoire depuis l’Antiquité, les signes du Zodiaque se sont affirmés progressivement comme une « formule » renvoyant à l’ordre divin20. Dans la perspective de la pensée méta-figurative, il est intéressant d’observer qu’au Moyen Âge les signes zodiacaux ont été disposés dans les manuscrits liturgiques, afin de signifier l’idée d’ordre et d’harmonie21. De fait, les signes du Zodiaque sont parfois figurés dans des tables de Canons et plus souvent dans des calendriers liturgiques22. Disposés dans les architectures figurées qui organisent les tables de Canons, les signes du Zodiaque entrent en résonance avec l’ordre textuel établi et produisent une sorte de mise en abyme de celui-ci. L’exemple d’un évangéliaire provenant vraisemblablement de l’abbaye de Fleury (Fig. 3) et datant de la fin du xe siècle peut être cité23. Dans ce manuscrit, les signes zodiacaux rythment visuellement les lunettes surmontant les arcs des tables de concordance des évangiles. L’ordre cosmique et l’ordre des Écritures se trouvent ainsi mis en correspondance. Dans les calendriers liturgiques, les signes du Zodiaque ponctuent les folios concernés, en marge ou au-dessus du texte, souvent insérés dans des médaillons ou dans des éléments architecturaux tels que des arcades. Dans deux sacramentaires de Fulda datant de la fin du ixe siècle, les signes du Zodiaque sont comme enchâssés à l’intérieur même du calendrier24. Ils sont en effet disposés à l’intérieur du texte et interagissent directement avec l’écrit, chaque signe zodiacal marquant le mois auquel il est associé comme repère visuel dans le temps calendaire et dans l’espace écrit. Ils enclenchent ainsi un processus rythmique et ordonnateur visant à célébrer l’ordre du temps chrétien dont les différentes fêtes sont indiquées. Comme Jean-Claude Schmitt l’a mis en exergue, le « rhythmus » médiéval est une « porte ouverte sur le cosmos », de sorte que la présence des signes du Zodiaque à l’intérieur des manuscrits liturgiques, au cœur des calendriers, s’apparente à une mise en abyme imbriquant l’ordre terrestre de l’Ecclesia et l’ordre divin du cosmos25. Dans un psautier de provenance germanique et datant du milieu du xiiie siècle, le calendrier liturgique prend place sous un cadre architecturé dont les lunettes sont notamment occupées par les signes du Zodiaque26. Ces derniers surmontent chacun un apôtre. Les douze piliers de l’Ecclesia sont ainsi associés aux douze signes du Zodiaque selon une correspondance récurrente au Moyen Âge27. De nouveau, ordre ecclésial et ordre cosmique entrent en résonance par l’intermédiaire des signes zodiacaux.
Cercle, médaillon, clipeus : les moyens graphiques d’une mise en réseau et d’une médiation entre terre et ciel
Figure 4Figure 4
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Figure 4
Sarcophage aux Saisons, ive siècle, sculpture, Pise, Campo Santo.
Cliché Angélique Ferrand, 2013
28 Voir F. Gury, Le Zodiaque gréco-romain, op. cit. ; H. G. Gundel, Zodiakos. Tierkreisbilder im Alter (...)
29 Cf. F. Gury, « Principes de composition de l'image zodiacale », op. cit., p. 542.
30 Sabratha, abside ouest du temple d'Hercule, fresque, règne de Commode (180-192), apothéose de Marc- (...)
31 Pour ce qui est de ce type de sarcophages, voir George M. A. Hanfmann, The Season Sarcophagus in Du (...)
32 En voici deux exemples : sarcophage aux Saisons, Pise, Campo Santo ; sarcophage aux Saisons, Dumbar (...)
33 À propos de Mithra et du rôle des astres, voir notamment Roger Beck, Planetary gods and planetary o (...)
34 C’est le cas par exemple sur un relief provenant d’un mithraeum de Londres (Wallbrook), Londres, Br (...)
35 Par exemple, sur le relief de Trèves, mithraeum de l’Altbachtal, iiie siècle, Trêves, Landesmuseum (...)
9La figuration du Zodiaque a connu un certain essor à partir du iie siècle sur différents supports et dans différents contextes28. Un autre moment clé dans la tradition iconographique du Zodiaque en contexte monumental se situe à partir du xie siècle et surtout au cours des xiie-xiiie siècles, hormis le succès de sa figuration dans les manuscrits dès le Haut Moyen Âge. Les moyens graphiques participant à une mise en réseau des douze signes du Zodiaque, entre eux mais aussi avec d’autres éléments, peuvent être interrogés vis-à-vis des effets d’enchâssement des images. Cercles, arcs de cercles, médaillons font partie des éléments de composition récurrents dans l’iconographie zodiacale antique et médiévale, en contexte monumental ou dans l’espace écrit du manuscrit. La disposition circulaire ou à connotation circulaire des images zodiacales relève du schéma qui permet de relier et d’intégrer le Zodiaque à l’ensemble de la composition à laquelle il participe29. Le cercle zodiacal isole souvent un ou des personnages en le/les situant au-delà des limites temporelles et spatiales. C’est le cas dans des images d’apothéose, comme par exemple celui de l’apothéose de Marc-Aurèle peinte sur la voûte du temple d’Hercule à Sabratha30. Dans un contexte également funéraire, le cercle zodiacal circonscrit parfois l’imago clipeata sur des sarcophages du type dit « aux Saisons » (Fig. 4)31. Sur ce type de sarcophages produits à Rome pendant les iiie et ive siècle, le cercle zodiacal entoure l’imago clipeata du ou des défunts sculptée au centre de la face principale et présentée par les Saisons32. Les signes du Zodiaque sont sculptés dans les petits compartiments rayonnants sur la bordure de l’imago clipeata et participent à un discours visuel sur l’éternité en répondant en écho aux Saisons. Le clipeus ourlé du Zodiaque et porté par les Saisons permet de traduire des jeux entre éternité et cyclicité. Dans le même ordre d’idée, dans l’imagerie mithriaque, le cercle zodiacal met en exergue le rôle de Mithra comme médiateur entre les dieux et les hommes33. En effet, le cercle zodiacal entoure souvent Mithra tauroctone34. Celui-ci semble parfois passer à travers le cercle zodiacal, ou bien dans certains cas, il paraît actionner la roue zodiacale35. Le cercle du Zodiaque se présente ainsi comme un moteur visuel. Il contribue à rendre visible des jeux entre différentes temporalités enchâssées dans l’image.
Figure 5Figure 5
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Figure 5
Panneau avec le Zodiaque vu de côté, ve siècle, mosaïque, Sepphoris (Israël), synagogue, pavement, détail.
Domaine public, G. Dallorto, Wikimedia Commons
36 Voir en particulier Xavier Barral I Altet, Le décor du pavement au Moyen Âge : les mosaïques de Fra (...)
37 Voir supra, n. 14.
38 Sparte, Odos Triokosion, mosaïque de pavement, 2e quart du ive siècle.
39 Il s’agit des pavements des synagogues d’Hammath Tiberias (ive siècle), de Sepphoris (ve siècle) et (...)
40 À propos de la tradition visuelle du clipeus et de sa dimension cosmique, voir F. Gury, Le Zodiaque (...)
41 Simone Piazza a d’ailleurs proposé de voir l’oculus hérité de l’Antique et repris dans l’art médiév (...)
42 Homère, Iliade, XVIII, 483-489.
43 Sur cette question, voir J. Soubiran, « Voir et faire voir les constellations », op. cit., p. 228-2 (...)
10En plus d’une disposition globale efficace ayant notamment recours au cercle ou à des arcs de cercle, la disposition interne des images zodiacales tend également à signifier un mouvement et une mise en réseau. La compartimentation des compositions dans lesquelles les signes zodiacaux sont figurés imprime un rythme visuel interne et relaie la disposition globale assurant, quant à elle, l’unité du cycle. Cette compartimentation telle une armature rayonnante est observable sur un certain nombre de mosaïques de pavement antiques et médiévales dont le décor comporte le Zodiaque. L’imbrication de formes géométriques pour ordonner les compositions dans lesquelles les signes sont intégrés est d’ailleurs exacerbée pour ce qui est des décors de pavement36. L’organisation concentrique est privilégiée et permet d’enchâsser plusieurs thèmes et plusieurs temporalités. À l’intérieur de l’image, le Zodiaque peut jouer le rôle d’attribut de souveraineté cosmique en particulier sur les pavements. La composition est souvent ordonnée autour d’un clipeus portant Sol/Hélios, voire Séléné. Le pavement de la villa de Münster-Sarmsheim37, celui de Sparte38, ou bien encore plusieurs pavements synagogaux tardo-antiques situés en Israël (Fig. 5) présentent de telles caractéristiques39. Dans ces pavements cosmologiques, le cercle zodiacal circonscrit le clipeus solaire et renvoie à la course du Soleil au cours d’une année. Le tout est inscrit dans un carré dont les angles sont occupés, la plupart du temps, par les Saisons. Le clipeus est un témoignage visuel du processus de survivance à l’œuvre dans l’iconographie zodiacale, puisqu’il est récurrent dans les compositions accueillant le Zodiaque entre Antiquité et Moyen Âge. Ce motif circulaire à dimension cosmique étudié notamment par Hans Peter l’Orange (1903-1983), complète le cercle zodiacal pour établir l’idée d’une médiation, d’une conjonction, en particulier entre ciel et terre40. D’ailleurs, dans les décors chrétiens tardo-antiques, il apparaît que le Zodiaque a perduré de manière implicite dans la tradition formelle du clipeus caelestis et plus largement dans les fonds étoilés des théophanies41. On peut souligner au passage que le bouclier mythique d’Achille décrit par Homère est souvent considéré comme un des premiers indices de représentation circulaire des constellations dans un contexte non scientifique42. Autour de D’une certaine manière, ce bouclier peut être vu comme les prémices des relations entre le Zodiaque et le clipeus, ainsi que du thème de l’apothéose héroïque et de la dimension cosmique du clipeus43.
Figure 6Figure 6
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Figure 6
Partie supérieure du panneau avec le Zodiaque, ive siècle, mosaïque, Hammath Tiberias, synagogue, pavement, détail.
Cliché Praisethelorne, CC BY-NC 3.0, Wikimedia Commons
44 Hammath Tiberias, Israël, synagogue, mosaïque de pavement du ive siècle. À propos des décors de pav (...)
45 Cf. Bianca Kühnel, « The Synagogue Floor Mosaic in Sepphoris: Between Paganism and Christianity », (...)
46 Voir Joseph Yahalom, « Piyyût as Poetry », dans L. I. Levine (éd.), The synagogue in Late Antiquity (...)
47 Philippe Descola, « L’Envers du visible : ontologie et iconologie », Histoire de l'art et anthropol (...)
48 Sur l’importance de la pensée analogique au Moyen Âge, voir notamment Anita Guerreau-Jalabert, « Oc (...)
49 Pour aller plus loin dans cette réflexion et sur les modalités de figuration de la pensée analogiqu (...)
11Le Zodiaque fut figuré à plusieurs reprises dans un contexte synagogal, sur des pavements réalisés entre le ive et le vie siècle. Ainsi, sur le pavement de la synagogue d’Hammath Tiberias (Fig. 6), les signes zodiacaux prennent place dans les compartiments rayonnants d’une composition concentrique au centre de laquelle Hélios dirige son quadrige44. Les signes zodiacaux sont eux-mêmes disposés de manière rayonnante et sont accompagnés des noms des mois en hébreu. Ces cercles concentriques inscrits dans un carré dont les angles sont occupés par les Saisons forment dans leur ensemble une image synthétique relative aux rythmes de l’année reliés les uns aux autres. Cette synthèse cosmique renvoie au pouvoir suprême du dieu d’Israël qui ne peut être visualisé et qui domine l’univers45. Par le biais de cette iconographie, il s’agit d’affirmer le règne du dieu d’Israël. En lien avec les poèmes liturgiques juifs (les piyyutim), le Zodiaque évoque à la fois le passé, le présent, orientés vers un futur compris comme l’espoir dans la restauration du royaume d’Israël46. De fait, de manière générale, l’iconographie zodiacale fonctionne essentiellement selon un système de pensée analogique. Le cercle des douze signes révèle une mise en réseau temporelle et spatiale ainsi qu’une imbrication d’échelles micro et macrocosmique. Dans l’image, le Zodiaque est comme un opérateur entre ciel et terre, entre humain et divin. Comme l’a souligné Philippe Descola, « l’analogisme vise à figurer une métarelation, c'est-à-dire une relation englobante condensant des relations disparates 47». D’une certaine manière, l’ontologie analogique qui caractérise le Zodiaque définit son iconographie comme une sorte de méta-image48. Composé de figures permettant de repérer des constellations mais aussi des rythmes temporels, le cercle zodiacal participe à des jeux de correspondances de type analogique, imbriquant et reliant différents éléments, le tout au sein de différents réseaux, visuels et/ou conceptuels qui présentent en effet le Zodiaque comme une méta-image49.
50 Cf. Simona Cohen, Transformations of time and temporality in Medieval and Renaissance art, Leiden, (...)
51 Rome, Bibliothèque Vaticane, Tables faciles de Ptolémée, Ms. Vat. Gr. 1291, prov. Constantinople ( (...)
12Les manuscrits astrologico-astronomiques ont perpétué l’iconographie antique de la divinité solaire inscrite dans un schéma cosmique présente sur des pavements ou sur d’autres décors antiques et tardo-antiques50. L’un des folios des Tables faciles de Ptolémée (ms. Vat. Gr. 1291) reproduit au ixe siècle une composition datant du ive, voire du iiie siècle51. Trois cercles concentriques sont disposés autour du clipeus central occupé par Hélios dirigeant son quadrige. Les signes zodiacaux sont quant à eux disposés dans les compartiments rayonnants du cercle extérieur. De leur corps qui suit la courbure du cercle, ils impriment un mouvement rotatoire dans le sens horaire.
Figure 7Figure 7
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Figure 7
Mosaïque de pavement de la crypte, 1ère moitié du xiie siècle, mosaïque, Piacenza, San Savino, pavement.
Cliché Angélique Ferrand, 2012
Figure 8Figure 8
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Figure 8
Vestiges des médaillons avec les signes du Zodiaque et les Occupations des mois, vers 1200, mosaïque, Tournus, Saint-Philibert, pavement du déambulatoire.
Cliché Angélique Ferrand, 2017
Figure 9Figure 9
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Figure 9
Vue d’ensemble du panneau avec les signes du Zodiaque, vers 1207, pavement à incrustations, Florence, baptistère San Giovanni.
Cliché Angélique Ferrand, 2013
52 Aoste, Santa Maria, décor de pavement du chœur, 2e moitié du xiie siècle. Les Occupations des mois (...)
53 Piacenza, San Savino, décor de pavement du chœur et de la crypte, 1ère moitié du xiie siècle. Le dé (...)
54 Honorius Augustodunensis, Gemma Animae, PL 112, col. 1023C. Cité par Barbara Franzé, « Entre foncti (...)
55 À ce sujet, voir C. Heck, Thèmes religieux et thèmes profanes, op. cit., en part. p. 149.
56 Xavier Barral i Altet, « Marcher sur la terre, regarder vers le ciel », dans Id., Contre l'art roma (...)
57 Florence, baptistère, pavement à incrustations, panneau avec le Zodiaque, vers 1207.
58 Cf. X. Barral i Altet, Le décor du pavement au Moyen Âge, op. cit., 2010, p. 352.
59 Sur ce décor aujourd’hui lacunaire et redécouvert en 2001, voir en particulier Le décor retrouvé de (...)
13Au xiie siècle, de telles compositions à dimension cosmique prennent un nouvel essor sur les décors de pavement. Sur les mosaïques de pavement de la cathédrale d’Aoste52, de San Savino de Piacenza53 (Fig. 7) ou bien encore de Saint-Philibert de Tournus (vers 1200) (Fig. 8), les signes du Zodiaque et/ou les Occupations des mois participent à des décors en mosaïque disposés en cercles et/ou médaillons, afin de donner à voir des images synthétiques de la Création, le plus souvent au cœur même du lieu ecclésial, sur le sol du chœur ou de la crypte. Les Occupations des mois, les Vents, les Fleuves du Paradis ou bien encore des fonds aquatiques peuvent être associés aux signes du Zodiaque. Dès l’Antiquité, les relations entre les décors des voûtes et ceux des pavements furent étroites et au Moyen Âge, des textes encyclopédiques et liturgiques soulignèrent la dimension cosmique du pavement. Par exemple, Honorius Augustodunensis (1080 - env. 1150) indique « [qu’] aux quatre angles de l’église sont les quatre parties du monde »54. L’iconographie encyclopédique, courante sur les pavements et dont le Zodiaque est un élément, tend à faire de l’église le cœur de la Création, mais aussi à faire de l’église le lieu d’une médiation entre terrestre et céleste. Les décors de pavements ecclésiaux participent à ce processus selon un jeu d’emboîtement micro et macrocosmique dans la manière de penser et d’orner le lieu ecclésial55. Les signes du Zodiaque figurés sur ces pavements tendent à traduire en images les relations entre terre et ciel, et permettent en quelque sorte de « marcher sur le sol, regarder vers le ciel »56. D’ailleurs, une inscription lisible autour du cycle zodiacal disposé en cercle sur le décor de pavement à incrustations du baptistère de Florence57 indique que « les choses hautes du ciel environnent le fond du pavé » (Fig. 9)58. Dans le même ordre d’idée, le pavement du déambulatoire de Tournus constituait un écrin rayonnant pour le sanctuaire (Fig. 8). Sur ce décor aujourd’hui lacunaire, les Occupations des Mois et les signes du Zodiaque alternaient dans des clipei eux-mêmes inscrits dans une bordure ornementale. Cette bordure s’adaptait à la courbure du déambulatoire et formait sans doute un arc de cercle59. Les figures zodiacales ainsi que les scènes mensuelles étaient disposées de manière à rayonner tout autour du déambulatoire.
60 Sur ces questions, voir en particulier Didier MÉhu, « Locus, transitus, peregrinatio. Remarques sur (...)
61 Sur cette idée, cf. Dominique Iogna-Prat, La Maison Dieu, une histoire monumentale de l’Église au M (...)
62 Bède, De temporum ratione, 16, De signis duodecim mensium. Voir Faith Wallis (trad., éd.), Bede: Th (...)
63 C’est ce que nous avons pu mettre en exergue dans notre thèse intitulée Du Zodiaque et des hommes. (...)
64 Je remercie M. François Lissarrague de m’avoir proposé ce terme pour décrire le rôle du Zodiaque et (...)
14Avec un tel décor imbriquant rythmes terrestres et rythmes cosmiques, le chœur résonne tel le cœur du cosmos. Ce décor participe à la polarisation de l’édifice ecclésial autour du sanctuaire et la sacralité de celui-ci semble comme irradier grâce aux clipei marqués des signes du ciel apposés au sol de l’église. L’association des scènes terrestres avec les signes célestes traduit et met en valeur la fonction de l’église comme le lieu d’une conjonction entre terre et ciel, entre une dynamique horizontale relative à la sphère terrestre et un mouvement d’ouverture verticale vers les cieux60. Le cercle zodiacal permet dans ce décor, comme dans d’autres, de mettre en exergue la médiation entre terrestre et céleste, entre humain et divin, tout en participant à une sorte de mise en abyme entre l’ecclesia et l’Ecclesia, entre l’Ecclesia et la Jérusalem céleste qui sont emboîtées dans la pensée chrétienne61. De fait, le thème de la Jérusalem céleste s’avère être un leitmotiv dans le contexte iconographique des signes du Zodiaque figurés au Moyen Âge dans la décoration ecclésiale monumentale. Répondant en écho aux douze portes de la Cité céleste, marqueurs de la « Porte du ciel », les signes du Zodiaque sont comparés à douze gemmes entourant la sphère céleste chez Bède le Vénérable62. Dans la décoration ecclésiale, les douze signes du ciel sont étroitement liés aux zones de passage tels que le portail mais aussi le chœur, lieu essentiel de la liturgie et par là même du passage entre matériel et spirituel63. De fait, le Zodiaque agit comme une image permettant d’aller au-delà en articulant la terre et le ciel, en opérant un transitus entre humain et divin. Les dispositifs visuels, cercles, clipei et arcs, qui servent à disposer les signes zodiacaux, participent à leur efficacité et à leur rôle d’« embrayeur » entre différentes temporalités et spatialités64.
Référence à l’Antique et re-sémantisation du Zodiaque
Figure 10Figure 10
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Figure 10
Janvier tenant le Capricorne (Martyrologe de Wandalbert), fin du ixe siècle, enluminure, Rome, Bibliothèque Vaticane, Reg. Lat. 438, prov. Reichenau ou Saint-Gall (?), fol 2r.
© Biblioteca Apostolica Vaticana, http://digi.vatlib.it/view/MSS_Reg.lat.438 http://digi.vatlib.it/view/MSS_Reg.lat.438
65 Sur cette idée, voir D. Blume, M. Haffner, W. Metzger, Sternbilder des Mittelalter, op. cit., vol. (...)
66 Rome, Bibliothèque Vaticane, Martyrologe de Wandalbert, Reg. Lat. 438, prov. Reichenau ou Saint-Gal (...)
67 Bède, De temporum ratione, XVI, De signis duodecim mensium.
68 Sur les changements affectant l’iconographie du calendrier et plus précisément celle des mois, voir (...)
69 La chevelure, la barbe et l’âge avancé du personnage du mois de janvier tandis que le front dégarni (...)
70 À propos de l’association entre apôtres et signes du Zodiaque, voir J. Daniélou, « Les douze Apôtre (...)
71 Plaques d’ivoire d’un coffret-reliquaire, Munich, Bayerisches Nationalmuseum, Kat. V. Nr 176, Kat. (...)
15À l’époque carolingienne, l’attrait pour l’Antiquité a facilité la copie et la reprise de la tradition antique tant visuelle que textuelle autour des astres. Émancipés de leur carcan astrologique et astronomique, les signes du Zodiaque furent ainsi insérés dans les manuscrits liturgiques dès l’époque carolingienne pour mettre en signe l’ordre divin et refléter son harmonie65. Le martyrologe de Wandalbert (Fig. 10) datant de la fin du ixe siècle est un témoignage intéressant de la référence à l’antique dans le thème iconographique du calendrier66. Le calendrier y est rythmé grâce à des folios occupés par un arc sous lequel le mois associé au signe zodiacal correspondant prennent place. Les arcs ou architectures antiquisantes qui ponctuent ce calendrier sont surmontés des vers du poème de Bède, De signis duodecim mensium67. La présence de ces inscriptions renforce le lien entre mois et signe qui est mis en image en-dessous et en écho avec le calendrier écrit. Les mois sont encore proches des personnifications antiques tout en esquissant les scènes des occupations mensuelles68. Or, ces personnifications mensuelles prennent ici l’apparence des apôtres. Le mois de Janvier prend les traits de l’apôtre Pierre, tandis que le mois de Juin prend les traits de Paul69. Les deux principaux piliers de l’Ecclesia structurent ainsi le calendrier de ce martyrologe dont l’espace écrit est ponctué des architectures antiquisantes servant de cadre à chacun des douze mois et signes. Les douze arches qui scandent le calendrier peuvent également renvoyer aux douze portes de la Jérusalem céleste à laquelle les saints évoqués dans le texte du martyrologe peuvent accéder. Les signes du Zodiaque se trouvent par conséquent intégrés à un réseau de références à l’Antiquité, aux fondements de l’Ecclesia et à la Cité céleste. Le temps de la narration du martyrologe se déroule au fil des figures à la fois calendaires, apostoliques et zodiacales et prend une dimension ecclésiologique et cosmique. L’association des signes du Zodiaque avec les apôtres est récurrente au Moyen Âge et participe à leur re-sémantisation70. Ils ont, par exemple, été associés sur deux reliquaires en ivoire du ixe siècle71. Sur le pourtour de ces coffrets, les apôtres sont figurés sous des arcatures dont les lunettes sont occupées par les signes du Zodiaque. On retrouve ainsi le dispositif de l’arc permettant de souligner le lien entre les signes zodiacaux et les apôtres et de signifier la mise en ordre.
Figure 11Figure 11
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Figure 11
Psautier d’Utrecht, vers 820-835, enluminure, Utrecht, Universiteitsbibliotheek, ms. 32, prov. abbaye d’Hauvillers (près de Reims), fol. 36.
http://www.utrechtpsalter.nl/#digital-edition.
72 Psautier d’Utrecht, Utrecht, Universiteitsbibliotheek, ms. 32, fol. 36, vers 820-835, prov. abbaye (...)
73 Voir les remarques de Herbert L. Kessler à propos du rapport entre texte et images notamment dans c (...)
16Le cercle zodiacal apparaît comme un lieu de passage de différentes manières, entre Antiquité et Moyen Âge, entre les temps et les espaces, entre l’humain et le divin. Dans le psautier d’Utrecht (Fig. 11) datant de la première moitié du ixe siècle, les psaumes font alterner textes et dessins. Ces derniers sont finement tracés tels des ornements orfévrés venant rehausser la valeur de l’écrit. À l’intérieur de ce manuscrit, le cercle du Zodiaque orne le pourtour d’un clipeus caelestis, miroir du psaume 6472. L’illustration des psaumes a comme particularité de transcrire littéralement le texte, de sorte qu’un certain nombre de détails de l’image se rapportent directement au psaume correspondant et facilite sa mémorisation tout autant que son efficacité liturgique73. Deux petits clipei portant les bustes du Soleil et de la Lune flanquent et surmontent le clipeus cerné du Zodiaque. L’orbe zodiacal ainsi tracé circonscrit la Cité céleste. Les murailles de la Jérusalem céleste sont en effet redoublées par le cercle des douze signes. La croix surmontant la hampe tenue par le Christ-Logos se dressant au centre du clipeus trace l’axe rayonnant de ce dernier. Elle domine le cycle zodiacal et semble l’arrêter. Cette croix est située entre les Poissons et le Bélier, autrement dit entre la fin de l’hiver et le début du printemps, tels l’alpha et l’oméga de ce cycle christianisé. Le Zodiaque est ici utilisé comme empreinte de l’ordre divin mais aussi comme limites de la Cité céleste. Il circonscrit une image montrant l’harmonie et l’abondance évoquée dans le psaume 64 tout en signifiant la dimension universelle des louanges terrestres destinées à Dieu. Le clipeus au Zodiaque met en abyme le texte auquel il est associé en même temps qu’il traduit la médiation entre humain et divin, entre terrestre et céleste rendue possible par la liturgie.
Figure 12Figure 12
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Figure 12
Détail de la voussure dite du calendrier, 1120-1130, sculpture, Vézelay, Sainte-Marie-Madeleine, portail central de l’avant-nef.
Cliché Angélique Ferrand, 2015
74 L’interprétation de ce tympan a fait couler beaucoup d’encre, à ce sujet voir notamment Francis Sal (...)
17Pour terminer cette réflexion, la figuration des signes du Zodiaque à Sainte-Marie-Madeleine de Vézelay peut être évoquée. Les douze signes du ciel ont été sculptés sur le portail du narthex de l’ancienne église abbatiale aux alentours de 1120-1130. Le tympan de ce portail est cerné d’une voussure ornée d’une succession de clipei dans lesquels sont figurés les signes du Zodiaque, les Occupations des Mois ainsi que d’autres figures supplémentaires (Fig. 12). Cette voussure calendaire couronne un Christ trônant au sein d’une scène synthétique combinant l’épisode de la Pentecôte et celui de la mission évangélique donnée aux apôtres74. La bordure interne du tympan est compartimentée de manière rayonnante. Cet espace est habité tout comme le linteau par un certain nombre de personnages représentant pour la plupart les Peuples de la terre. Cette composition synthétique reprend l’organisation des schémas diagrammatiques des manuscrits encyclopédiques tout en évoquant les mappae mundi. Les médaillons du calendrier permettent une mise en abyme de l’universalité du message évangélique tout en signifiant la souveraineté du Christ trônant au centre du tympan. Ils reflètent et imbriquent différentes temporalités dépassées par l’éternité du Christ central.
Figure 13Figure 13
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Figure 13
La Balance et les Gémeaux, 1120-1130, sculpture, Vézelay, Sainte-Marie-Madeleine, nef, chapiteau 19.
Cliché Angélique Ferrand, 2015
75 Chapiteau n°19, pile sud, nef. Au sujet de ce chapiteau, voir notamment Angélique Ferrand, « Le Zod (...)
18Or cette voussure trouve un écho dans un des chapiteaux de la nef (Fig. 13)75. Sur sa face principale, celui-ci présente un clipeus tenu par un personnage qui pourrait être saint Michel. Dans ce clipeus, la Balance est présentée par une figure féminine nue, la tête et les épaules recouvertes d’un voile qui s’envole et se confond avec sa chevelure. À droite, sur le côté du chapiteau, un demi-médaillon cerne deux personnages nus ou plutôt deux bustes nus accolés partageant un même corps pour la partie inférieure. Chacun passe une main autour des épaules du second, tandis que de l’autre main, ils couvrent leur nudité. Ils sont identifiables aux Gémeaux, signe zodiacal re-sémantisé sous les traits du couple originel, selon une variation récurrente au Moyen Âge. La Balance et les Gémeaux répondent en écho au cycle zodiacal du portail et le clipeus est un des moyens visuels soutenant l’analogie entre le seuil et la nef. Les Gémeaux synthétisent la Création du couple originel et la faute initiale, tandis que la Balance évoque le Jugement Dernier. Tout comme le tympan du narthex et plus largement les trois portails de ce dernier, le chapiteau 19 de la nef condense et enchevêtre plusieurs temporalités. Par le biais du médaillon ou clipeus, les signes du Zodiaque du portail et du chapiteau de la nef proposent une mise en abyme des temps, terrestre, céleste, biblique, le tout dans une perspective eschatologique.
76 Cf. D. Blume, M. Haffner, W. Metzger, Sternbilder des Mittelalters, op. cit., vol. I.1, p. 158.
19En conclusion, le cercle des signes du Zodiaque donne lieu à des jeux de mémoire à différents niveaux et il est un élément de médiation et de transition entre terrestre et céleste, humain et divin. Dans ces articulations réside une pensée méta-figurative qui a recours à divers moyens graphiques. Au Moyen Âge, le Zodiaque est une « image-signe » qui imbrique le temps dans l’espace tant par la localisation de ses figures dans le ciel, que par sa localisation dynamique dans l’espace écrit du manuscrit ou dans l’édifice ecclésial76. Dans les manuscrits liturgiques et dans la décoration ecclésiale, les signes du Zodiaque font l’objet d’un processus de re-sémantisation et entrent en résonance avec l’histoire chrétienne. La dimension rythmique des douze signes est mise en valeur par des dispositifs visuels efficaces tels que le cercle, le clipeus ou bien encore l’arc. Les signes du Zodiaque agissent comme des moteurs permettant d’aller au-delà, de signifier un passage. Ils se présentent ainsi comme des opérateurs entre ciel et terre. De manière générale, les douze signes furent employés afin d’imbriquer plusieurs échelles temporelles et spatiales dans des contextes variés. Le Zodiaque apparaît ainsi comme un élément liminaire et transitif dans les images et leurs lieux, entre Antiquité et Moyen Âge.
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